Les crédits carbone, une arnaque pour les peuples des forêts?

En 5 ans, une société a réussi à négocier les droits de 38 millions ha de forêt avec les communautés autochtones, sans qu’aucun projet concret n’ait vu le jour. Le gouvernement dénonce des accords frauduleux, permettant à l’entreprise de s’accaparer 50% des fonds.

Par GVadmin Modifié le 3 août 2012 à 17 h 11
Parc national de Tayrona. © fabulousfabs (Flickr.com)

Une société a réussi en cinq ans seulement à négocier les droits de 38 millions d’hectares de forêt avec les communautés autochtones, sans qu’aucun projet concret n’ait vu le jour. Le gouvernement dénonce des accords frauduleux, permettant à l’entreprise de s’accaparer 50% des fonds.

Indigènes colombiens.

Toute cette histoire de crédits carbone ne serait-elle que du pipeau? © inyucho (Flickr.com)

Fernando Agudelo, vice-président de l’entreprise CI Progress, se rappelle de l’arrivée des bourses du carbone en 2006, et d’un nouvel outil des Nations Unies censé mettre un frein à la déforestation et promouvoir le développement local : le programme de "Réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts" (REDD).

Son principe est simple : il consiste à faire en sorte que la forêt vaille plus cher sur pied que coupée, en finançant des activités liées à sa préservation. Pour prétendre aux compensations du système REDD, il s’agissait alors de s’approprier au plus vite les droits des surfaces boisées du pays. C’est ainsi que la course a commencé.

Luis Ignacio Gil, fondateur de l’entreprise CI Progress, s’est vite aperçu que les grands propriétaires de forêts étaient essentiellement les communautés autochtones et les communautés afro-colombiennes, à qui l’État avait permis de récupérer dans les années 80 quelque 35 millions d’hectares de terres.

Acheter l’oxygène, une activité lucrative

Au terme d’un processus long et coûteux, impliquant de faire venir les chefs de communautés jusqu’à Cali pour qu’ils signent des procurations, CI Progress allait alors s’approprier les droits de 38 millions d’hectares de terrain. Pour négocier du "carbone" en Colombie, il fallait dorénavant passer par cette entreprise. Le succès de ce modèle allait même pousser CI Progress à l’exporter dans les pays voisins, notamment au Panama, en Équateur et au Pérou.

D’autres "investisseurs" peu scrupuleux se sont engouffrés dans la brèche et n’ont pas hésité à démarcher les propriétaires terriens en leur promettant "d’acheter de l’oxygène", ou en profitant du peu de connaissances des communautés autochtones pour leur faire signer tout et n’importe quoi.

Après avoir reçu de nombreuses plaintes, le ministère de l’Environnement a dû envoyer des fonctionnaires battre les campagnes pour expliquer aux propriétaires terriens les rudiments du fonctionnement des crédits carbone et mettre fin aux escroqueries.

Un marché du carbone incontrôlable

Le ministère s’est aussi intéressé à CI Progress, et a découvert que l’acteur le plus important du marché du carbone de Colombie n’avait toujours réalisé aucun projet. Qui plus est, les contrats signés par l'entreprise stipulent que seuls 50% des fonds sont destinés à des projets au sein des communautés, les autres 50% restant entre les mains de l’entreprise.

D’importantes irrégularités ont également été constatées, les communautés n’ayant pas été consultées avant la signature des accords, comme l’exige la loi. Il appartient désormais aux tribunaux de trancher sur la légalité des activités de CI Progress, au cours de ce qui s’annonce comme un long feuilleton juridique.

Déjà contesté sur le fond parce qu’il permet aux entreprises de s’affranchir de leur devoir de réduction d’émissions en échange de la protection d’une zone forestière dans un pays en développement, le système REDD ouvre la porte à des abus en tout genre et met en évidence l’impossibilité de réguler efficacement un marché du carbone devenu trop complexe.

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