“Fukushima a changé les mentalités des jeunes Japonais”

Un an près la catastrophe de Fukushima, Évelyne Dourille-Feer, docteur en économie et japonologue, analyse les conséquences de l’accident nucléaire de Fukushima et les évolutions dans la société japonaise qu’il a entrainé.

Par GVadmin Modifié le 13 juillet 2012 à 16 h 59

Le 11 mars 2011, un séisme d'une intensité folle frappe la côte Pacifique du Tōhoku, au Japon. Un tsunami, ravageant des villes entières et tuant plus de 20 000 personnes, s’ensuivit. La "vague" est également à l'origine du plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl. Un an près cette catastrophe majeure, Évelyne Dourille-Feer, docteur en économie et japonologue et professeur en économie japonaise à l'Université Paris Dauphine, analyse les conséquences de l'accident nucléaire de Fukushima et les évolutions dans la société japonaise qu'il a entrainé.

Un an après, les conséquences de l'explosion de la centrale nucléaire de Fukushima ne sont pas encore toutes connues. ©Jorge Rodriguez (Wikicommons)

Alexandre Genneret : Un an après la catastrophe de Fukushima, quel est le montant des dépenses totales liées à ce désastre ?

Évelyne Dourille-Feer: Le chiffrage officiel des destructions de stock de capital (bâtiments, infrastructures, exploitations agricoles, sylvicoles et pêcheries) est d’environ 16,9 trillions de yen (158 milliards d’euros) soit 3,3% du PIB réel 2011. Mais à ces destructions, il faut ajouter de nombreux coûts additionnels liés aux secours aux victimes, déblaiement des débris, réparation d’urgence puis de reconstruction.

Actuellement, on estime que le coût de la reconstruction devrait atteindre environ 23 trillons yen (215 milliard d’euros) sur les dix ans à venir, dont 19 trillions devraient être dépensés les cinq premières années.

A.G.: Quelles sont les conséquences avérées et probables pour l’environnement ?

É.D.-F.: Le tremblement de terre du Tohoku, d’une intensité exceptionnelle de 9 sur l’échelle de Richter, s’est traduit par un déplacement de 4 mètres vers l’Est et d’un enfoncement de 75 cm d’une partie de l’île de Honshu. De nombreux glissements de terrain et chutes de pierres en ont résulté. De son côté le tsunami a dévasté plus de 190 kilomètres de côtes, provoqué d’énormes dépôts de sédiments et débris sur des kilomètres à l’intérieur des terres, dévastant de nombreux terrains agricoles. Ces deux catastrophes ont également contribué à la pollution de rivières et cours d’eau.

Mais, l’accident nucléaire a des retombées sur l’environnement et la santé encore plus préoccupantes pour ses effets à long-terme. Le principal rejet radioactif a été l’iode 131, dont la demi-vie est courte (huit jours), mais qui peut avoir de graves conséquences sur la santé (cancer) sans toutefois présenter d’effets durables sur l’environnement. Par contre, le césium 137 également rejeté lors de l’accident de Fukushima, a une demi-vie de trente ans, donc des retombées à long-terme.

De plus, au plus fort de la catastrophe, des rejets importants d’eau radioactive se sont déversés dans le Pacifique…de nouvelles fuites d’eau contaminées au césium 137 ont été constatées en mai et en décembre 2011. Il est encore trop tôt pour faire un bilan des dégâts sur les ressources halieutiques…

A.G.: Les questions environnementales constituaient-elles un enjeu majeur pour le Japon avant cet accident ? Et depuis ?

É.D.-F.: Les questions environnementales suscitaient un intérêt croissant de la population, notamment parmi les jeunes avant Fukushima. Elles sont devenues plus importantes encore depuis Fukushima.

A.G.: Les jeunes se sentent-ils plus concernés que leurs ainés par la question du nucléaire ?

É.D.-F.: La population japonaise dans son ensemble a longtemps cru que l’énergie nucléaire était sûre. Ainsi en 2005, un sondage montrait que 85% de la population était en faveur du maintien ou de la construction de nouvelles centrales.

Fukushima a mis fin à cette croyance. Un sondage du Mainichi du mois d’août 2011 révélait que 74% des Japonais souhaitaient une sortie graduelle du nucléaire. Si les jeunes sont présents dans les manifestations anti-nucléaires, on note que toutes les tranches d’âge y sont représentées.

A.G.: Après plus de 20 ans de crises économiques, financières et maintenant environnementales, comment les jeunes japonais envisagent-ils leur avenir dans cette puissance trébuchante qui devait autrefois devenir la première puissance économique, dépassant les États-Unis ?

É.D.-F.: Ces dernières années, de nombreux jeunes Japonais étaient devenus très matérialistes. Leur choix de carrière était guidé par des motivations financières. Fukushima semble avoir changé leur mentalité. Les métiers orientés vers le social et une vie stable sont plébiscités. De nombreux jeunes ont redécouvert l’importance des liens sociaux, à travers le bénévolat qu’ils ont été nombreux à pratiquer pour aider les victimes des régions sinistrées et à travers l’empathie ressentie face aux victimes.

Propos recueillis par Alexandre Genneret

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