La génétique du capitalisme induit de repenser le sens du progrès

Le capitalisme vit-il depuis 2008 une crise conjoncturelle ou au contraire une crise profonde remettant en cause ses propres fondements ?

Par Vincent Pichon Modifié le 31 janvier 2013 à 10 h 26

Le capitalisme vit-il depuis 2008 une crise conjoncturelle ou au contraire une crise profonde remettant en cause ses propres fondements ? Cette question avait été posée à la Cité de la Réussite à La Sorbonne le 20 octobre dernier à Alain Minc, Nicolas Baverez et Jean Bernardeau (Directeur HSBC France) dans le cadre d’une conférence intitulée « Enjeux et valeurs d’un nouveau capitalisme ». Malheureusement, ni les véritables enjeux, ni les valeurs d’un nouveau capitalisme n’ont été évoqués.

En surface, il semblerait que la crise soit bien conjoncturelle. N’a-t-elle pas en effet été largement provoquée par la crise des subprimes aux Etats-Unis qui s’est ensuite propagée au système bancaire mondial pour finalement mettre en exergue le surendettement des Etats européens ? « La reprise va arriver, c’est une question de cycle », disait d’ailleurs François Hollande au Monde le 31 octobre dernier. Cette vision, compréhensible d’un point de vue strictement économique, élude pourtant notre principale difficulté. Celle de devoir affronter les défauts « congénitaux » des systèmes capitalistes.

Le premier est celui de l’intolérance des systèmes à la stabilité. Autrement dit, sans expansion ou croissance, l’économie finit par détruire des emplois. C’est pourquoi se créent ce que le philosophe Jean-Pierre Dupuy a appelé des « détours de production ». « Des productions jugées superflues ou même nuisibles sont légitimées par le travail qu’elles fournissent à la population » explique-t-il. La croissance infinie de ces détours, dont le moteur principal est la consommation et la croissance démographique, est ainsi devenue une obsession maladive dans notre monde fini. Et pourtant, nous connaissons Les limites de la croissance explicitées dans le rapport de Dennis Meadows commandé par le Club de Rome en 1972 : en franchissant les seuils de renouvellement du capital naturel, principalement pour alimenter nos besoins en croissance, l’espèce humaine pourrait bien provoquer un effondrement massif des écosystèmes et des productions (industrielles, agricoles, etc.) d’ici le milieu du siècle ! Faute de mesures puissantes, nous paierons tôt ou tard cet effondrement causé par une dette écologique devenue pharaonique et sans cesse croissante.

Intervient alors le deuxième défaut. Celui de la myopie des systèmes, pensés et créés par des hommes court-termistes. « L’environnement » se trouve alors réduit à un poste de coût à court terme qui bride la reprise économique et les créations d’emplois. L’érosion de la biodiversité, principalement provoquée par l’homme, est un bon exemple de cette incapacité à se projeter. Malgré les services économiques incommensurables qu’elle nous procure, sans parler de ses bienfaits pour la psyché humaine, la biodiversité aurait reculé de 29 %[1] au cours de ces seules trente dernières années d’après WWF : une vague d’extinction massive et « éclair » !

Tout notre problème réside donc dans notre capacité à influer sur ces défauts congénitaux. Le premier, notre besoin de croissance, nous impose de passer de systèmes linéaires, destructeurs des ressources et des écosystèmes, à des systèmes vertueux et positifs, en boucles fermées, limitant les prélèvements et les pollutions. Le deuxième, notre myopie, est quant à lui étroitement lié au premier. Car pour passer d’un système linéaire à un système vertueux, il est nécessaire d’ancrer nos systèmes dans le temps long de sorte que l’exploitation durable des ressources et des écosystèmes présente un rendement supérieur à court terme à celle d’une exploitation destructrice. Les mécanismes de taxation tout comme les mécanismes de marché doivent donc être considérablement amplifiés et combinés pour nous auto-contraindre à favoriser cet ajustement. A moins d’accords globaux, ambitieux, et malheureusement improbables, aucun pays ne sera prêt, cependant, à hypothéquer sa compétitivité à court terme avec de telles politiques. Sommes-nous donc condamnés à être cet « animal suicidaire » décrit par Jared Diamond ?

Les technologies existent. C’est là le plus rassurant. Ce qui nous manque, c’est précisément de penser un progrès qui ne soit pas uniquement technique ou technologique. Le bien-être, l’expansion du savoir humain, la diversité culturelle, la préservation des écosystèmes et des espèces sont autant d’indicateurs d’un progrès véritable et accessible qu’il nous faut à tout prix rechercher, mesurer et communiquer. La tournure que prendra le 21e siècle en dépend : il sera soit un siècle de progrès humain, soit un siècle de destruction massive. Il n’y aura pas d’entre-deux.

Aussi, les politiques et décisionnaires qui nous ressassent sans cesse des discours de croissance soi-disant rassurants, pourront-ils peut-être méditer un jour cette citation de Claude Lévi-Strauss extraite de Tristes Tropiques : « Ce qui empêche l’homme d’accéder au bonheur ne relève pas de sa nature, mais des artifices de la civilisation ». Or il n’est point de civilisation invincible et éternelle, seulement des hommes qui arrêtent de penser le progrès…ou qui le pensent mal !

Vincent Pichon

1 commentaire on «La génétique du capitalisme induit de repenser le sens du progrès»

  • Je partage votre analyse limpide et efficace. Mais il faut hélas constater que les décideurs ont encore du mal à comprendre la dimension purement idéologique, une belle construction de l’imaginaire, de l’économie de marché sans compter qu’aujourd’hui le progrès se confond de plus en plus avec la croissance comme le dit Alain Gras lors d’une conférence (sur mon blog : http://ecologiedemarche.com/la-croissance-verte-quest-ce-que-cest/).Or aujourd’hui, du moins dans les pays développés, il ne faut pas du “plus”, mais du mieux.
    PS. je vais lire vos autres contributions.

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