Le « néo-bocage » une mesure d’adaptation au changement climatique et de relance économique

Avec la Révolution Verte de l’après-guerre, les machines agricoles toujours plus grandes et puissantes ont nécessité un remembrement des parcelles agricoles.

Par Philippe Freund Publié le 23 février 2013 à 0 h 34

Avec la Révolution Verte de l’après-guerre, les machines agricoles toujours plus grandes et puissantes ont nécessité un remembrement des parcelles agricoles. On a donc arraché les haies sur une grande partie du territoire. Entre 1960 et 1980, c’est environ 70 % des haies présentes à l’apogée du bocage (entre 1850 et 1930) qui ont disparu, soit 1,4 million de km[1]. En ordre de grandeur, c’est  entre 1 et 2 milliards d’arbres et arbustes coupés[2] en seulement vingt ans ! Le rôle initial du bocage était de servir d’enclos aux parcelles puis, avec la révolution industrielle, de fournir du bois de chauffage aux populations rurales devenues très nombreuses. Des raisons qui n’ont manifestement plus de justification aujourd’hui.

Le programme le plus ambitieux de plantation de haies arborées a été le Great Plains Shelterbelt lancé en 1934 par Roosevelt. L’objectif était de lutter contre la sécheresse et les tempêtes de poussière (Dust Bowl) qui ont ravagé le Middle West dans les années 30 et que Steinbeck a immortalisées dans Les Raisins de la Colère. Le programme a permis en 8 ans de planter 220 millions d’arbres[3] sur une vaste bande traversant les Etats-Unis du Texas au Dakota du Nord.  Outre son intérêt environnemental, ce programme fut l’une des mesures de relance du New Deal qui a permis de créer des emplois dans cette région rurale durement touchée par la Grande Dépression. Vingt ans plus tard, le Forest Service a constaté sur les terres protégées par les haies brise-vent une réduction de l’évaporation, de l’érosion des sols et une augmentation de la production.[4]

Difficile d’ignorer les similitudes du contexte qui a prévalu au Great Plains Shelterbelt avec deux grands enjeux auxquels nous sommes confrontés en 2012 : le changement climatique dont les signes sont déjà visibles sur l’agriculture (stress hydrique, décalage des calendriers de culture…), et la crise économique bien présente.

Un programme ambitieux de « néo-bocage » dans l’esprit du programme de Roosevelt aurait tout son sens aujourd’hui en France dans les grandes plaines agricoles.

Ce néo-bocage serait bien différent du bocage traditionnel car il serait optimisé pour protéger les cultures du changement climatique, sans gêner le travail des engins agricoles modernes. Il présenterait des haies à l’intérieur même des parcelles si leur largeur dépasse 100 mètres pour que leur effet protecteur touche la totalité de la surface cultivée. On a vu que cela était possible puisque le Great Plains Shelterbelt est né sur des grandes parcelles dans une agriculture en pleine mécanisation.

Il serait aussi bien différent du programme lancé par Roosevelt. A l’époque l’énergie était bon marché et l’effet de serre n’était pas un sujet. Aujourd’hui, il s’agirait de maximiser la productivité de la biomasse pour alimenter les filières bois énergie pourvoyeuses d’emplois qui sont des solutions à l’enchérissement des énergies fossiles et à l’effet de serre. On éviterait donc les brise-vent mono-spécifiques au profit de haies diversifiées qui présentent une meilleure productivité biologique et permettent de produire à la fois bois-énergie et bois d’œuvre.

Depuis les années 90, les politiques publiques stimulent la replantation des haies arborées en mettant en avant le rôle écologique et environnemental de la haie : refuge de biodiversité, protection de la qualité de l’eau et préservation des paysages. La reprise de la plantation est timide : +4 % en surface entre 1993 et 2004[5]. Les agriculteurs voient avant tout la haie comme une perte de surface productive et un dispositif dont l’intérêt à leur niveau reste flou. Sans vouloir minorer l’importance des enjeux biodiversité et pollution locale, il faudrait avant tout considérer la haie arborée comme une réponse au changement climatique, un enjeu qui va directement affecter  – quand il n’affecte pas déjà – les rendements et les revenus des agriculteurs.

Il faut donc concevoir un néo-bocage optimisé pour consolider voire augmenter les rendements agricoles dans un contexte de changement climatique imminent. Ses bénéfices sur les rendements doivent être quantifiés, culture par culture, type de sol par type de sol, bassin par bassin. Il faut aussi pouvoir démontrer que le bois qu’il produira sera source de nouveaux revenus pour les agriculteurs et que leurs partenaires pourront leur assurer un prix équitable.

Les pouvoirs publics doivent y voir un potentiel de création de nouvelles activités économiques avec  à la clé des dizaines de milliers d’emplois durables et non délocalisables sur tous les maillons de la filière. En contrepartie, leur rôle sera de mettre en place des outils de financement – pas nécessairement de subvention – adaptés à une infrastructure dont la durée de vie dépasse les 20 ans.

La future PAC qui se veut plus « verte » devra également reconnaître la valeur du néo-bocage : l’intégrer dans les critères d’éco conditionnalité et soutenir les actions d’implantation et d’entretien (voir par exemple les propositions  de l’AFAHC).

Philippe Freund

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