Ce partage de graines qui fait germer les réflexions

Le printemps est enfin arrivé. La neige a disparu, le soleil pointe le bout de son nez et les pigeons roucoulent. Une saison idéale pour parler jardinage, semences et initiatives citoyennes.

Par Mathieu Viviani Modifié le 24 avril 2013 à 11 h 45

Le printemps est enfin arrivé. La neige a disparu, le soleil pointe le bout de son nez et les pigeons roucoulent. Une saison idéale pour parler jardinage, semences et initiatives citoyennes.

© Neil Palmer (CIAT)

La semaine dernière, le magazine shareable – spécialisé dans la consommation collaborative – nous faisait découvrir le projet Eating in public (manger en public). Fondé à Hawai en 2003, ses initiateurs – l’artiste Gaye Chan et le sociologue Nandita Sharma – le décrivent comme « des magasins gratuits, où n’importe qui peut laisser ou prendre des biens ». L’idée est peu novatrice en soi, les boîtes d’échange public commençant à faire leur bout de chemin en Europe. Cependant, l’originalité réside dans l’un des biens échangés : des semences. Étonnant, face à l’engouement plus habituel pour le troc des vêtements, bouquins et autres objets non identifiés. Alors, pourquoi vouloir à tout prix échanger les graines ?

Parce que manger seulement vingt espèces végétales, c’est un peu ennuyeux

Non, l’ours polaire n’est pas la seule espèce menacée d’extinction. On comprend bien le soulèvement populaire pour sa petite trogne qui fait craquer. Mais même si le sujet se prête moins aux panneaux publicitaires, les plantes aussi disparaissent par pans entiers. Ainsi, selon la FAO, les trois quarts de la diversité végétale a été perdu au cours du 20e siècle. Ce chiffre reste approximatif, des variétés étant régulièrement (re)découvertes, réintroduites et protégées. Mais en attendant, voilà que nos plantes sont enfermées dans des cages. Elles, qui jadis gambadaient dans les forêts rasées ou les marais asséchés.

L’autre chiffre choc de la FAO, est le suivant : « 75% de la nourriture mondiale provient de 12 plantes et cinq espèces animales ». Un petit jeu s’impose donc : prenez une feuille et un crayon, puis faite votre propre liste. Personnellement, j’en suis à environ trente – ne sachant cependant pas si les divers choux comptent pour une espèce ou plusieurs. Or, pour compléter cette dernière statistique, la FAO considère que vingt espèces de plantes alimentaires fournissent, à elles seules, 95% des calories de l’humanité (avec une préférence pour le soja, le maïs et le blé).

Bon, fini les chiffres. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Tout d’abord, que le monde s’uniformise. Et ce, notamment, sous l’influence de grandes multinationales – dont la fameuse Monsanto – aux cahiers de charges intéressants. L’idée est bien sûr de plaire au consommateur.  Mais qui le représente, ce consommateur ? « La grande distribution », explique Chantal Gehin de l’alliance PEC, au micro de la Radio Gresivaudan. Elle enchaîne : « les sélectionneurs, on leur demande des tomates qui soient grosses. Ils feront des tomates grosses. Où encore des tomates qui se conservent bien. » Le tout, quitte à perdre l’odeur de la tomate, son goût et sa diversité.

Pour résumer, il faut désormais lutter pour se prémunir face l’ennui futur de nos assiettes. Non pas, en allant casser la figure à certains représentants. Mais bien grâce à toutes ces initiatives citoyennes, dont les bibliothèques à semences, boites à dons, ainsi que les forums et sites d’échange. Rien de mieux non plus que ces banques de semences. De véritables trésors, dont le saint des saints se trouverait en Norvège.

Pour ne plus devoir acheter ce que la nature nous offre

Est-il normal d’aller en magasin chaque année, pour acheter ses semences ? Cette question qui s’adresse d’abord au jardinier  du dimanche, est très importante. Elle devient d’ailleurs extrêmement sérieuse, lorsqu’on en vient aux grandes exploitations agricoles. Ainsi, depuis les débuts de l’agriculture, l’homme travaillant la terre a su récupérer ses propres semences. Après quelques trocs et un travail personnel d’hybridation, il les replantait pour la récolte suivante. Le cycle se refermait et la plante continuait à s’adapter à son environnement.

Aujourd’hui, ce droit est surtout réservé à de grandes firmes, dont neuf qui contrôleraient jusque 90% du marché mondial. Des multinationales, qui, par divers moyens, envahissent le monde agricole par des hybrides F1 incestueux et OGM douteux.

Et là où les lois du marché frappent dur, c’est que ce quasi monopole coûte cher à l’agriculteur. Dans un premier temps, parce qu’il risque de s’endetter pour acheter des semences aux résultats controversés[1]. Ensuite, parce qu’il existe des catalogues – européen et nationaux – de semences. Introduit au cours du 20e siècle, ceux-ci devaient protéger l’agriculteur contre l’industrie semencière montante, les fraudes faisant rapidement surface. Ces registres officiels (dont le GNIS en France) regroupent dès lors les semences soumises à des sortes de ‘droits de propriété intellectuelle’.

Or, le tout étant bien ficelé, il a été interdit de replanter des graines achetées sous licence, sans payer à nouveau sa dote. Quant aux semences paysannes, celles traditionnellement prélevées par les agriculteurs, elles ont tout simplement été interdites. Pas ‘stables’, ni ‘homogènes’, comme on le dit dans le jargon employé. Peut-être, mais n’est-il pas temps de justement redécouvrir les spécificités agricoles locales ? Doit-on réellement appliquer une même recette de semences dans le monde entier ?

Pour voir surgir des jardiniers amateurs et reprendre possession de la terre

Ayant assisté à quelques évènements lors de la ‘semaine sans pesticides’, j’ai maintes fois entendu le discours suivant de la bouche des agriculteurs : « l’industrie biochimique nous a menti ». « Elle nous a progressivement enlevé la connaissance de la terre ».

Alors bien sûr, une grande quantité d’agriculteurs utilisent OGM et pesticides. Mais le blâme revient-il simplement à ce groupe ? Face à la pression constante de nourrir la population, toute recette agrémentée d’une prise de démagogie, est bonne à prendre. Il suffit d’ailleurs de parler avec une poignée d’entre eux, pour voir surgir les chroniques familiales récentes. On découvre ainsi, que beaucoup se sont fait duper par ces vendeurs ambulants. Eux, qui allaient de ferme en ferme pour vendre leurs produits ‘miracles’. Pas tellement quand on en croit le discours actuel sur le retour aux méthodes traditionnelles, et notamment l’agroécologie.

Quant au consommateur, est-il certain que la grosse tomate sans goût prévale encore ? Et s’il redécouvrait le chou pommé, le haricot Lingot ou les courges bouteille. S’il découvrait les joies du jardinage, ne serait-ce que pour comprendre quelques principes de base pour se nourrir. Enfin, s’il le faisait de façon communautaire, pour jardiner à plusieurs dans la joie et la bonne humeur. Une réflexion à l’origine des jardins communautaires, potagers urbains, prêts de lopins de terre… Ou encore ce projet appelé ‘food is free’ (la nourriture est gratuite).

Jan Nils Schubert

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