L’accord de Genève sur le programme nucléaire de l’Iran : chance historique ou erreur historique ?

L’accord conclu à Genève entre l’Iran et l’UE3+3 sur le programme nucléaire de Téhéran a été salué comme « historique » par la quasi-totalité de la communauté internationale. Seul le Premier ministre d’Israël l’a qualifié d’ «erreur historique », tandis que l’Ambassadeur d’Arabie saoudite à Londres, avant même que le texte soit agréé, a exprimé sa « frustration » à l’égard de ses auteurs.

Par Pauline Hossin Modifié le 19 décembre 2013 à 14 h 35

L’accord conclu à Genève entre l’Iran et l’UE3+3 sur le programme nucléaire de Téhéran a été salué comme « historique » par la quasi-totalité de la communauté internationale. Seul le Premier ministre d’Israël l’a qualifié d’ «erreur  historique », tandis que l’Ambassadeur d’Arabie saoudite à Londres, avant même que le texte soit agréé, a exprimé sa « frustration » à l’égard de ses auteurs.

© U.S. Department of State

Historique, l’accord l’est sans conteste. En effet, pour la première fois depuis le début de ces négociations il y a une décennie, les deux parties ont posé les jalons d’une « solution globale de long terme » au problème du programme nucléaire iranien en vue de « garantir » qu’il sera « exclusivement pacifique ». Plusieurs facteurs ont rendu un tel accord possible. Premièrement, le changement de président en Iran, avec l’élection d’un modéré jouissant de la confiance du Guide suprême et déterminé à restaurer l’économie du pays en obtenant la levée des sanctions internationales. Deuxièmement, la modification de stratégie de l’UE3+3, passant d’une insistance unilatérale sur la cessation de tout enrichissement d’uranium par l’Iran à une combinaison plus subtile bien que complexe de concessions mutuelles visant à instaurer un « processus réciproque et graduel ». Seule une telle approche était susceptible de se révéler durable et compatible avec les positions de principe de chaque partie : pour l’UE3+3, l’Iran ne doit pas être autorisé à mettre au point une arme nucléaire, et pour l’Iran, l’enrichissement d’uranium est un « droit inaliénable ».

Le « Plan d’action conjoint » agréé est aussi sans précédent en ce qu’il accorde à l’Iran ce à quoi il a toujours aspiré (« jouir pleinement de son droit à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques »), mais ceci uniquement dans le cadre d’un « programme d’enrichissement [d’uranium] défini en commun et comportant des limites pratiques et des mesures de transparence ». En d’autres termes, pour la première fois, un État souverain partie au Traité de Non-Prolifération (TNP) accepte de placer ses activités nucléaires sous le contrôle non seulement de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) comme tout autre État partie non doté de l’arme nucléaire, mais aussi des cinq États dotés de l’arme nucléaire du TNP plus l’Allemagne. Ce n’est qu’au terme de la mise en œuvre de la dernière étape de la solution globale que l’Iran « sera traité de la même manière que tout État non doté de l’arme nucléaire partie au TNP ».

Un seuil à ne pas franchir

Ce prix élevé, qui comprend aussi la possibilité de rétablir les sanctions en cas de violation de l’accord, a été payé par l’Iran en vue de conserver la capacité nucléaire qu’il avait déjà atteinte. En effet, comme le reconnaissent la plupart des experts, Téhéran a désormais acquis la technologie et le savoir-faire qu’il recherchait afin d’être capable de franchir le seuil nucléaire si et quand il en ressentait le besoin. Afin de convaincre le monde qu’il avait précisément décidé de ne pas franchir ce seuil, il n’avait pas d’autre choix que d’accepter les réelles limites imposées à son programme nucléaire. Cet accord intérimaire est destiné, comme indiqué dans la déclaration conjointe de Catherine Ashton et de son homologue iranien, à procurer « le temps et l’environnement nécessaire à une solution globale ».

Il n’empêche que cet accord implique déjà de fortes contraintes sur le programme nucléaire iranien : neutralisation (par dilution) de la moitié du stock d’uranium enrichi à 20 % ; gel de tout enrichissement au-delà de 5 % ; gel du développement des installations d’enrichissement et de la centrale à eau lourde d’Arak ; conversion de l’uranium récemment enrichi à 5 % en dioxyde d’uranium faiblement enrichi ; aucune nouvelle installation d’enrichissement ; aucun retraitement et aucune construction d’installation de retraitement ; aucune installation de nouvelles centrifugeuses et production limitée au remplacement des centrifugeuses en panne ; gel de la moitié des centrifugeuses de Natanz et des trois quarts de celles de the Fordo.

Surveillance étroite des activités iraniennes

Comme les États-Unis l’ont reconnu dans leur présentation officielle de l’accord, l’Iran a également accepté une « transparence et une surveillance intrusive sans précédent » de son programme nucléaire afin d’empêcher toute activité potentiellement liée à une dimension militaire : accès quotidien des inspecteurs de l’AIEA aux installations d’enrichissement et surveillance vidéo permanente ; accès à la production des centrifugeuses, à leur assemblage et à leur centres de stockage ; accès aux mines et centres de conversion d’uranium ; fourniture des informations sur la conception du site d’Arak accès « plus fréquent » des inspecteurs à ce site ; fourniture d’autres données et informations critiques. La ratification du Protocole additionnel de l’AIEA, qui offre à l’Agence un accès illimité aux activités ou installations non déclarées, fera partie de la solution globale, mais l’Iran a déjà accepté de fournir des informations sensibles exigées par cet instrument.

En échange de ces gestes, l’Iran bénéficiera d’une « levée limitée, temporaire et réversible » des sanctions américaines et européennes, tandis que la levée de l’ensemble des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU résultera de la pleine mise en œuvre de l’étape finale de la solution globale. Il ne fait pas de doute que les bénéfices économiques potentiels d’une relance du commerce avec la République islamique a également compté pour beaucoup dans la décision des Six.

Les alliés des États-Unis ont besoin d’être rassurés

Pourquoi donc, à la lumière de cet accord, Israël et l’Arabie saoudite ont-ils réagi si négativement ou prudemment ? Les raisons, selon toute vraisemblance, en sont moins liées au détail du programme nucléaire iranien prévus par l’accord qu’à son contexte géopolitique. Pour Israël, si cet accord est mis en œuvre et suivi par une solution globale, la capacité de seuil de l’Iran restera perçue comme une menace existentielle, en particulier si la rhétorique officielle iranienne continue d’instrumentaliser le sentiment anti-israélien en Iran et dans le monde arabe. Israël craint non seulement d’être encore montré du doigt comme la seule puissance dotée de l’arme nucléaire au Moyen-Orient, mais aussi d’avoir à renoncer au prétexte de la menace iranienne pour retarder indéfiniment la conclusion d’un accord de paix avec les Palestiniens. L‘Arabie saoudite, de son côté, redoute qu’un Iran moins isolé cherche à jouer le rôle régional auquel il aspire au Moyen-Orient, peut-être en exacerbant les divisions entre Sunnites et Chiites ou en menaçant les intérêts saoudiens dans le monde arabe. A ses deux alliés, le gouvernement américain s’est efforcé d’expliquer qu’une normalisation conditionnelle avec l’Iran permettrait mieux d’assurer la stabilité dans la région et que l’option d’une frappe militaire contre l’Iran – apparemment toujours envisagée par ces deux pays – serait le scénario du pire. De nouveaux efforts de persuasion seront nécessaires de la part de Washington pour rassurer ces alliés stratégiques.

La fin des jeux à sommes nulles ?

Le nouvel accord de Genève, faisant suite à celui relatif aux armes chimiques de la Syrie, offre un grand potentiel pour améliorer la vie de millions de personnes au Moyen-Orient et ouvrir la voie à une approche de la sécurité plus fondée sur la coopération et les avantages mutuels dans la région comme substitut aux jeux à sommes nulles qui n’ont jusqu’ici mené nulle part. Sa mise en œuvre sera le véritable test des intentions réelles de l’Iran. L’expérience du passé n’incite pas à la naïveté ou à un optimisme excessif, mais il est clair qu’il est fondamentalement dans l’intérêt politique et économique de l’Iran d’appliquer scrupuleusement cet accord. Le fait que des canaux de communication secrets et officiels soient désormais rouverts entre Washington et Téhéran augure bien de la négociation d’un accord de règlement des anciens différends qui ont sérieusement affecté la paix et la sécurité internationales.

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