La radioactivité ne s’arrête (toujours) pas aux frontières

Par GV Modifié le 21 juillet 2016 à 11 h 33

La construction d'une centrale nucléaire en Biélorussie, à quelques kilomètres de Vilnius, ravive le débat autour des risques liés aux catastrophes nucléaires près des frontières. 30 ans après Tchernobyl et 5 après Fukushima, la politique de l'UE n'a guère avancé et les regards continuent de se détourner alors que les risques de contamination à l'échelle européenne sont réels.

Moscou finance la première centrale biélorusse à 50 km de Vilnius

Grâce au soutien financier de Moscou, la Biélorussie construit sa première centrale nucléaire aux abords de la ville d’Astravets, à cinquante kilomètres à peine de Vilnius, la capitale lituanienne. La centrale nucléaire est bien moins chère que ses homologues étrangères, et pour cause : le projet ne prévoit pas de carapace de protection propre à contenir les fuites radioactives en cas de catastrophe nucléaire.

Sa proximité géographique avec la capitale lituanienne fait ainsi peser de nombreux risques, pour Vilnius, qui devrait être entièrement évacuée si problème il y a, mais également pour l’ensemble de l’Union européenne. La centrale biélorusse prévoit en effet de s'approvisionner dans la rivière Néris pour irriguer son système de refroidissement. Or cette rivière traverse la Lituanie pour aller se jeter dans la mer Baltique. Si elle venait à être contaminée par des fuites radioactives, tous les États disposant d'un accès à la côte baltique courraient le risque d'être à leur tour contaminés. « Mais pour les Biélorusses, les problèmes s’arrêtent à la frontière », relève Rokas Masiulis, ministre lituanien de l’Energie.

Pour l'heure, l'Union européenne ne semble pas s’intéresser à la question. A la Commission européenne, le Président Jean-Claude Juncker mais aussi Karmenu Vella à l'Environnement et  Maroš Šefčovič à l'Energie répètent que la Biélorussie n'étant pas un État membre de l'UE, le dossier ne concerne pas Bruxelles. La Russie répète quant à elle qu'elle était ouverte aux négociations. Un discours rien moins que dilatoire puisque la construction de la centrale n'a jamais été suspendue malgré l'opposition au sein de la société civile. «  Les réacteurs russes de type AES-2006 n’ont jamais été testés par des experts internationaux indépendants et leurs paramètres de sécurité ne sont pas connus », relève Linas Vainius, un activiste écologiste lituanien, à la tête de la lutte contre la centrale biélorusse.

Nucléaire sans frontières

Le silence de Bruxelles laisse perplexe alors que Tchernobyl et Fukushima sont encore dans tous les esprits. Il y a trente ans, quand la France promettait que le nuage radioactif issu de la catastrophe en Ukraine ne passait pas sur son territoire, les autorités des pays voisins mettaient en place des mesures de protection des populations. Aujourd'hui, c'est la politique de l'Hexagone qui est elle-même critiquée : sur 19 centrales, 5 se trouvent à proximité d'une frontière.

La centrale de Fessenheim, la plus ancienne de France, est implantée au bord du Rhin, à deux pas de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne. Celle de Cattenom se situe à 25 kilomètres de la capitale du Duché ; celle de Chooz, à moins de 10 km de la Belgique, et celle de Gravelines, à quelque 30 kilomètres. Enfin, la centrale de Bugey se trouve à 70 km de Genève. Pourquoi les habitants de pays frontaliers devraient-ils pâtir d'une politique étrangère qu'ils n'ont pas décidée ?

Les procédures en cas d'urgence ne sont pas non plus coordonnées. Résultat : tandis que les autorités d'un pays interdisent à leur population de faire certaines choses (comme se rendre dans certains lieux à risque ou manger certains aliments contaminés), ces mêmes activités peuvent être autorisées à quelques kilomètres seulement. « Il n’y a pas de plan commun d’urgence pour l’instant, déplore Patrick Majerus, chef de division de la radioprotection au ministère de la Santé du Luxembourg. Car cela ressort de la souveraineté nationale. Mais pour le grand public, ce ne serait évidemment pas très compréhensible, surtout en situation d’urgence, d’évacuer d’un côté de la frontière et pas de l’autre. Cela peut potentiellement créer une situation de panique. »

La centrale biélorusse représente une opportunité d'enfin se saisir de la question des risques de fuites radioactives, qui ne s'arrêtent malheureusement pas aux frontières. Une coopération à l'échelle européenne est nécessaire pour anticiper les risques, et, le cas échéant, y répondre d'une même voix. Il est aujourd'hui impensable que chaque État soit contraint d'y faire face seul, d'autant qu'ils n'en ont tout simplement pas les moyens.

D'aucuns voient dans la centrale biélorusse une stratégie de Moscou pour faire pression sur la politique de ses voisins. La Lituanie a répondu en affirmant qu'elle n'achèterait pas l'électricité ainsi produite, mais ce plan pourrait se révéler difficile à mettre en œuvre. Il pourrait également s'agir d'une réponse du Kremlin au bouclier anti-missile décidé par l'OTAN. Quoiqu'il en soit, la Russie semble décidée à peser de tout son poids dans les relations internationales grâce au levier de l'énergie nucléaire. La société russe Rosatom a augmenté son portefeuille de 60 %, et ce, au lendemain de la catastrophe de Fukushima. Elle opère aujourd'hui dans 40 pays et dispose d’un portefeuille de commandes à l’étranger représentant 101 milliards de dollars sur les dix prochaines années. Face aux turbulences du gaz et du pétrole, Poutine a vite fait de trouver un substitut pour maintenir sa main-mise sur l'approvisionnement mondial en énergie.

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