Agrocarburants, alimentation : une relation à surveiller

Par melanie.mangold Modifié le 10 avril 2012 à 14 h 13

Un autre problème causé par la réaffectation des terres est celui de la crise alimentaire. Le sujet a largement été traité ces dernières années par les Médias. Cependant, il est toujours bon de faire un petit rappel.

Une augmentation de la production américaine d'éthanol à base de maïs a entraîné au début de l’année 2007 une hausse du prix de la récolte sur le marché international, puis une augmentation de plus de 40% du prix des tortillas, laquelle a engendré des émeutes de la faim au Mexique. Des phénomènes identiques sont apparus en Afrique et en Asie, incitant des milliers de personnes à descendre dans les rues.

En 2008, les chiffres concernant l’influence des agrocarburants sur les prix des denrées alimentaires variaient de 3 à 75% nous informe Olivier Dubois, coordinateur du programme Bioénergie de la FAO. Bien que le débat ne soit pas clos, de plus en plus d’experts s’accordent à dire que l’influence des biocarburants sur les prix alimentaires a été relativement faible.

Les mêmes experts sont en revanche d’accord sur le fait que cette influence risque de croître avec l’augmentation importante de production de biocarburants prévue dans les décennies à venir. Le problème, c'est que les 6,1 milliards d'habitants dénombrés en 2000 vont passer à 7,2 milliards en 2015 et à 8,3 milliards en 2030 d'après la projection moyenne de la FAO; et qu'un milliard de tonnes de céréales supplémentaires seront nécessaires d'ici 2030 pour nourrir la population mondiale . À cela s’ajoute le fait que le réchauffement climatique a pour conséquence l’augmentation des terres sèches à faible rendement.

Coproduits des biocarburants : un atout pour l'Europe ?

En Europe, l'opposition traditionnellement perçue entre les usages alimentaires ou énergétiques des cultures n'est pas si simple. La plupart des cultures dédiées à la production des biocarburants servent simultanément à nourrir les élevages, et donc les hommes en produits animaux (lait, viande, œufs, etc...) nous explique Fabien kay de Sofiproteol. En Europe par exemple, le biodiésel se développe principalement avec la culture du colza ajoute Fabien Kay.

«  L'augmentation des surfaces de colza a permis d'accroître la production de tourteau, le coproduit du biodiésel qui, riche en protéines, sert à alimenter les élevages »

Cette stratégie de développement du biodiésel a ainsi permis de nourrir les élevages avec une matière première locale plutôt qu'importée (tourteau de soja sud-américain, souvent OGM); car jusqu'ici, l'Europe importe 70% des protéines végétales destinées à l'alimentation des élevages.

Spéculation, alimentation et inégalité homme-femme

Indirectement, l’essor des agrocarburants suscite aussi d’autres craintes liées à la spéculation. Rappelez-vous, en 2008, la crise américaine des subprimes a incité certains investisseurs à revenir vers des 'valeurs refuges' telles que les matières premières agricoles. L’augmentation de la demande des céréales a accentué la croissance des cours relativement bas à l’époque. Ce qui a entrainé une hausse significative des prix des céréales et accru la famine des populations les plus pauvres de la planète.

Or, selon un rapport de la FAO (La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, 2008), les femmes souffriront davantage  de la  hausse du prix des denrées alimentaires. L’essor des biocarburants risque en effet d’accroître les inégalités de revenus entre les hommes et les femmes des pays pauvres car les hommes ont plus facilement accès à la terre, à l’eau et au crédit.

Pour Kim Cornelissen, consultante québécoise en développement régional et international, les disparités homme-femme sont visibles au-delà des pays en voie de développement.

Il y a un déséquilibre majeur entre l'absence quasi-totale de femmes dans les conseils d'administration des entreprises productrices d'énergie et le fait que ce sont les femmes, surtout les plus pauvres, qui subiront les conséquences du développement des biocarburants.

Jatropha : une fausse bonne idée

L’une des solutions envisagées pour endiguer ce cataclysme humanitaire est d’utiliser des terres marginales et arides. Au Chili par exemple, dans la région d’Arica et Parinacota, six serres ont été construites sur les 10 hectares consacrés à une évaluation de la culture de jatropha à grande échelle pour la production d’huile.

Plants de Jatropha © FAO / Messemaker

Cette solution nous protège-t-elle véritablement des dérapages écologiques et socio-économiques ? Comme le rappelle Olivier Dubois, expert en bioénergies au département des ressources naturelles de la FAO :

Tout le monde préfère les bonnes terres!

Bien que le Jatropha puisse pousser dans des terres plus arides, tout comme le soja ou le maïs, il se plaît davantage dans une terre saine et humide.

Plus troublant, une étude menée conjointement par la FAO et le FIDA (Fonds international de développement agricole) conclut que

les rendements des graines du jatropha, sa teneur en huile et sa qualité sont encore extrêmement variables.

En outre, la plupart des plants cultivés à l’heure actuelle sont toxiques pour les animaux et peuvent présenter des risques pour la santé de l’homme.

Les systèmes intégrés aliment-énergie : une solution à la crise alimentaire ?

La principale question est donc de savoir si les systèmes technologiques actuels peuvent assurer la production à grande échelle des agrocarburants sans accentuer la faim et la soif des plus indigents ?

Stock de sucre après ensachage à Limeira, Sao Paulo, Brésil © FAO / Giuseppe Bizzarri

Pour Darrin Qualman, l’ancien secrétaire exécutif de la National Farmer Union (NFU) du Canada,

Il est ridicule de dire que nous pourrons nourrir tout le monde tout en accélérant la croissance des biocarburants. Si nous essayons, nous allons augmenter la faim. Il est bon de ne pas oublier, ajoute-t-il, que la principale cause de la chute de plusieurs civilisations antérieures a été le surmenage et la dégradation de leurs terres.

Plus modéré, Olivier Dubois, de la FAO, estime qu’il existe des moyens pour réduire les risques de compétition aliments-énergie. Un de ces moyens consiste en des mesures politiques privilégiant la production alimentaire par rapport à celle de biocarburant en cas de hausse de prix des aliments.

Par exemple, au Brésil, on réduit le mandat d’éthanol de canne à sucre lorsque le prix du sucre dépasse un certain seuil, afin de dévier la production de sucre vers des fins alimentaires.

Toujours selon ce dernier, un autre moyen est de développer des systèmes intégrés aliments-énergie, soit en cultivant côte à côte des plantes alimentaires et énergétiques (ex. des arbres produisant de la bioénergie intercalée avec du maïs ou du manioc, en systèmes agroforestiers), soit en utilisant les sous-produits ou résidus d’un type de production pour produire l’autre (ex. le biogaz produit à partir des effluents animaux, la bagasse comme sous-produit de la production de sucre).

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