"L’Afrique doit avoir son propre modèle de RSE"

Thierry Téné est le Directeur de A2D Conseil et le co-fondateur de l’Institut Afrique RSE. Il organise du 8 au 10 novembre 2011 à Douala au Cameroun, le premier forum international de la RSE en Afrique.

Par GVadmin Modifié le 10 avril 2012 à 13 h 04
Thierry Tene

Thierry Téné est le Directeur de A2D Conseil et le co-fondateur de l’Institut Afrique RSE. Il organise du 8 au 10 novembre 2011 à Douala au Cameroun, en partenariat avec le GICAM, la principale organisation patronale du Cameroun, le premier forum international de la RSE en Afrique.

Green et Vert Vous intervenez dans les entreprises africaines en tant qu’expert DD/ RSE. Pouvez-vous dresser un panorama de la situation  en Afrique ?

Thierry Téné Il existe plusieurs cas de figures. Les multinationales ont souvent une stratégie RSE au niveau groupe et l’applique au sein de leur filiale africaine. Cependant, elles rencontrent  souvent des problèmes liés au manque d’implication et de compétences dans le domaine. Certaines entreprises nationales ont, quant à elles, la volonté de mettre en place des stratégies de RSE afin de renvoyer une image positive à l’étranger notamment. Le groupe ivoirien SIFCA a par exemple une stratégie ambitieuse car il est coté à la Bourse de Paris. Au Maroc, la Confédération Générale des Entreprises Marocaines a mis en place un label RSE. En revanche, les PME africaines n’ont pas une démarche volontaire de RSE.

Mais la philanthropie reste un point commun aux groupes nationaux comme aux PME africaines. C’est le cas de Bougne Bocom International qui a mis en place un partenariat  avec une clinique pour offrir gratuitement des soins de santé à ses salariés. Dans certains pays africains, il arrive aussi qu’un préfet soit nommé dans une région sans avoir un local de travail. On se tourne alors vers les entreprises pour le financement. Le paradoxe est qu’une entreprise peut ne pas respecter le droit du travail et l’environnement, mais si elle finance une maternelle ou un stade de football elle renverra toujours une bonne image dans le pays.

G&V–La question de la RSE est-elle aujourd’hui incontournable pour les entreprises africaines?

T.T La RSE est aujourd’hui une obligation en Afrique. Avec la croissance démographique galopante, l’emploi des jeunes est une préoccupation majeure. D’où l’importance d’inciter les entreprises à générer des emplois stables. Si les gouvernements ne mettent pas en place une législation claire ou si les syndicats ne jouent pas leur rôle de catalyseur, il ne faut pas s’étonner que les entreprises outrepassent le code du travail. Pour que les mentalités et les politiques changent, il faut construire une RSE volontaire et poser les bases d’un partenariat public-privé incluant l’État, les entreprises, les partenaires sociaux et les collectivités locales. Lorsqu’une entreprise souhaite par exemple exploiter des minerais dans des zones reculées, c’est à l’État de construire les routes et non l’inverse.

Au niveau stratégique, la RSE est incontournable car de nombreux Africains vivent avec moins de deux dollars par jours. Pour lutter contre la pauvreté tout en faisant des profits, les entreprises ont tout intérêt à considérer ces individus comme des acteurs économiques à part entière et  également tenir compte des problématiques environnementales. D’ailleurs le green business est plutôt une opportunité. L’équation est simple : il faut réduire les coûts sociaux en réduisant les coûts environnementaux.

G&V– Existe-t-il un modèle de responsabilité sociale spécifique aux entreprises africaines?

T.TIl est nécessaire de créer un contexte législatif favorable afin que l’Afrique ait  son propre modèle de RSE dans le cadre de partenariats public-privé. Prenons l’exemple du Mali où récemment encore il n’était pas possible pour les opérateurs économiques d’investir dans l’industrie minière car l’État a déjà la mainmise sur ce secteur en partenariat avec les investisseurs étrangers. Pourtant, il n’est pas envisageable de bâtir une stratégie RSE sans encourager les entreprises et les investisseurs locaux à se développer. La faiblesse des parties prenantes (syndicats et ONG), l’absence de sanction des consommateurs et le manque de volonté politique exigent une mobilisation autour d’une dynamique de partenariats public-privé pour impulser la RSE en Afrique.

G&V– Les pays d’Afrique peuvent-ils créer un modèle de RSE unique?

Il est difficile de construire un modèle de RSE commun à l’ensemble des pays africains. L’histoire, la culture et les priorités économiques ne sont pas les mêmes à travers le continent. Il faut donc l’adapter aux réalités locales. Reste qu’en Afrique, comme c’est le cas pour l’Union Européenne, il est possible d’élaborer une stratégie globale et un  espace de réflexion et de partage d’expériences car certains enjeux globaux sont à peu près les mêmes d’un pays à un autre : la nécessité d’avoir des gouvernements moins corrompus, de lutter contre les pollutions, de respecter le droit du travail, de favoriser la concurrence entre les entreprises...

G&V–Dans la plupart des entreprises occidentales, il a fallu de très nombreuses années avant d’adopter des modèles plus responsables. À votre avis combien de temps faudra-t-il aux entreprises africaines?

T.T Je pense qu’en Afrique la mise en place de stratégies RSE s’effectuera plus rapidement qu’en Europe puisque les multinationales occidentales sont obligées d’appliquer leurs démarches RSE à leurs filiales africaines. D’autre part,  les classes moyennes africaines sont de plus en plus exigeantes sur les pratiques sociales et environnementales des entreprises. Et les bailleurs de fonds encouragent également l’investissement socialement responsable.

Propos recueillis par Sonia Eyaan

Aucun commentaire à «"L’Afrique doit avoir son propre modèle de RSE"»

Laisser un commentaire

* Champs requis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.