Detroit, terre d’expérimentation

Faisant face à une des situations socio-économiques les plus critiques du pays, Motor City n’entend pas aller au tapis. Detroit imagine et réinvente aujourd’hui une autre façon de concevoir son développement local, avec comme meilleures armes l’abnégation et la créativité d’une bonne partie de ces habitants.

Par GVadmin Publié le 19 septembre 2011 à 6 h 48
Detroit

Cité abandonnée ou cité en pleine renaissance, Detroit fait parler d’elle. Faisant face à une des situations socio-économiques les plus critiques du pays, confrontée à l’abandon d’une industrie automobile jadis florissante, Motor City n’entend pas aller au tapis. Detroit imagine et réinvente aujourd’hui une autre façon de concevoir son développement local, avec comme meilleures armes l’abnégation et la créativité d’une bonne partie de ces habitants.

Réinventer la ville

Se rendre à Détroit, c’est accepter d’être dérouté par cette ville. « Cela fait huit ans que je m’y suis installé, et je commence tout juste à la comprendre», nous confie un responsable d’Earthworks Urban Farms, organisation spécialisée dans l’agriculture urbaine.

La réputation, l’histoire, et la disposition urbaine de Détroit en font une ville indéniablement à part. En partie délaissée par ses pères fondateurs - les géants de l’automobile - Détroit se cherche de nouveaux souffles de développement. Repenser la ville, son identité et son économie locale ; être capable d’assurer le vivre ensemble  et subvenir aux besoins essentiels de sa population, voici tout le défi que s’est lancé Détroit.

Une ville taillée dans costume bien trop grand

Détroit est une "Shrinking City", une ville qui rétrécit.  Selon les chiffres du recensement, de 2 millions d’habitants dans les années 50, Détroit en est à 715 000 aujourd’hui. Un quart de la surface de la ville est désormais laissé à l’abandon, soit 100 km2 de terres vacantes [1] … la superficie de Paris intramuros ! Détroit semble avoir subi un cataclysme invisible et silencieux, lui conférant une certaine touche de mélancolie.

Mais Détroit, c’est surtout et aussi des quartiers entiers encore debout. Des bars, des commerces, des restaurants, une université, de nombreux musées, un institut d’art, des hôpitaux. De nombreux habitants veulent désormais prendre en main le destin de  leur quartier.

Beaucoup préconisent aujourd’hui une politique dites du "rightsizing", qui consiste à rassembler les principaux quartiers de la ville sur un espace plus réduit. L’idée semble intéressante, mais pose d’importantes questions pratiques et éthiques puisqu’il s’agirait de déplacer des populations entières dans de nouveaux habitats.

Le malaise américain face à un symbole en péril

Comment en est-on arrivé là ? Détroit est née avec l’essor de l’industrie américaine, et s’est épanouie avec l’automobile. Avec le déclin des Big ThreeFord, Chrysler et General Motors – Détroit n’a pas simplement perdu sa croissance économique, mais une partie de son âme.

Depuis les bancs de l’école avec la Chrysler School, jusqu’aux soins avec l’Hopital Henry Ford, Détroit est marquée au fer rouge par son industrie automobile et le retour de bâton a été d’autant plus douloureux [2]. Délocalisations brutales, plans de restructuration et licenciements... L’industrie automobile, jusqu’ici source de prospérité, est dorénavant pointée du doigt comme la principale responsable de cette situation.

Pour autant elle ne semble pas être concernée par la réhabilitation de la ville, et ne paie ainsi pas les coûts sociaux et urbains engendrés par sa politique. Le cas de Détroit pose ainsi explicitement la question de la place de l’économie dans le développement d’une ville et celle de la responsabilité des entreprises dans la vie locale.

Ancienne usine Packard.
Ancienne usine Packard.

Barrières ethniques et sociales

Les déséquilibres provoqués par la crise économique renforcent  le manque de cohésion sociale dont Détroit souffre depuis longtemps. De longues avenues, dont la fameuse 8 Mile Road, dessinent des frontières ethniques et sociales, où deux mondes se défient de chaque côté du passage piéton.

Originaires des États du sud, et notamment des anciennes plantations, les populations afro-américaines émigrèrent massivement à Détroit dès le 19ème siècle. Subissant la ségrégation raciale, ceux-ci durent s’installer dans les quartiers pauvres du centre ville [3], à l’écart des riches banlieues blanches.

Ce phénomène s’accentua dans les années 60 et 70, lorsque la ville subit les plus violentes émeutes raciales du pays. Les populations blanches fuirent alors définitivement le centre pour les banlieues. Pourtant, dans ce contexte d’inégalité et de pauvreté, solidarité et créativité permettent à la ville de se relever progressivement.

Détroit aux Detroiters

Ici, lorsqu’on discute avec des habitants, une chose en ressort : les Detroiters ne lâcheront pas leur ville. Ils s’y accrochent. Par le biais de groupes de quartiers, associations, coopératives, la société civile s’organise et prend une partie du destin de la ville entre ses mains. Des projets sont soutenus de manière forte originale grâce à un nouveau concept : celui de la SOUP.

Agriculture urbaine.

Agriculture urbaine.
Installation de jardins communautaires, et multiplication d’initiatives d’agriculture urbaine.

Détroit offre un terrain d’expérimentation hors norme, jamais connu jusqu’alors aux États-Unis. Aidés par une législation assouplie, nombreux sont ceux qui acquièrent des terrains laissés à l’abandon, certains se chargent de dépolluer les sols et d’autres de les cultiver. Détroit est ainsi une des villes à la pointe en termes d’agriculture urbaine.

La grande majorité des commerces se situant désormais à l’extérieur de la ville, le centre de Détroit fait partie de ces "food deserts", ces espaces où l’accès à la nourriture est rare pour celui qui n’est pas motorisé. A travers l’agriculture urbaine notamment, certains Detroiters se sont donnés pour mission de rendre leur ville autosuffisante en matière d'alimentation.

Aujourd’hui Détroit fait parler d’elle, un peu trop semble-t-il. La méfiance est de mise, et se ressent, notamment avant nos interviews. Le journaliste venu faire du spectaculaire ou du larmoyant est invité à plier bagages. Les Detroiters ne laisseront pas leur ville être encore diabolisée. Ils veulent en faire quelques chose d’étonnant et de nouveau. Detroit n’a pas fini d’en voir de toutes les couleurs !

Projet Heidelberg.
Projet Heidelberg, l’art de redonner des couleurs aux édifices abandonnés.

[1] Le Monde, 15 février 2011.

[2] La situation actuelle de Detroit révèle des chiffres à la hauteur des tours vertigineuses du siège de General Motors. Officiellement le taux de chômage atteindrait près de 30%, mais il serait en réalité plus proche des 50%. Un quart de la population vivrait en dessous du seuil de pauvreté.

[3] Aujourd’hui, 85% de la population afro-américaine de Detroit réside dans le centre.

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