"La forêt vierge, c’est la richesse dans le chaos"

Passionné de grande nature, Bertrand Sicard parcourt les Carpates roumaines depuis une vingtaine d’années. Le Français y découvre alors quelques unes des dernières forêts vierges d’Europe. Pour tenter de sauvegarder la riche biodiversité de ces écosystèmes, il crée en 2004 la fondation Vita Sylvae Conservation.

Par GVadmin Modifié le 2 août 2012 à 16 h 19
Bertrand Sicard.

Passionné de nature, Bertrand Sicard parcourt les Carpates roumaines depuis une vingtaine d'années. Ce Français a découvert quelques-unes des dernières forêts vierges d'Europe, principalement concentrées dans l'Arc Carpatique et en voie de disparition. Fort de sa longue expérience professionnelle (chez Veolia et Vivendi notamment) et associative au service de l'environnement, il fonde alors cette année l'association Vita Sylvae Conservation. Son objectif : sauvegarder la biodiversité exceptionnelle des forêts primaires de la région de Maramures (nord-ouest de la Roumanie), menacée par l'exploitation forestière illégale.

Bertrand Sicard.
Bertrand Sicard dans la forêt vierge de la région de Maramures.

Green et Vert : Pourquoi avoir choisi la Roumanie pour vos activités ? Y existe-t-il un espoir particulier de renouveau écologique?

Bertrand Sicard : Je vais surement un peu vous décevoir mais je ne pense pas qu'il existe d’espoir particulier de renouveau en Roumanie, où la protection de l'environnement passe bien souvent au dernier plan. Par contre, je pense que la formule qu'appliquent les historiens au communisme, "le frigidaire de l'histoire", peut aussi s'appliquer à la biosphère. L'industrialisation et l'urbanisation se sont très peu développées dans certaines régions, laissant des territoires entiers à l'état sauvage. C'est d'ailleurs suite à cette réflexion, juste après la chute du mur de Berlin, que mon épouse et moi-même sommes partis arpenter les Carpates le sac au dos. Naturaliste amateur, j'y ai vu mes premières traces d'ours et découvert ces forêts profondes.

G&V : L’Homme du 21ème siècle est effectivement urbain, plus que jamais. D'ailleurs, nombre de personnes s’étonneraient certainement de la subsistance de forêts vierges en Europe, de par la vision souvent exotique de ce type de végétation...

B. S. : Les forêts vierges ou très vieilles forêts, je les ai découvertes bien plus tard en 2004, alors que nous étions en billebaude naturaliste avec un des mes amis biologistes, Vincent Vignon, à qui je dois beaucoup. Nous parcourions les différents massifs forestiers du Maramures à la rencontre de la faune locale, loups et lynx... Vincent m'a dit en balayant des yeux son environnement "regarde bien cette forêt, elle est exceptionnelle, elle est de structure primaire". En effet, des jonches au sol, de nombreux arbres morts, et des arbres immenses nous entouraient. Ce fut pour moi le coup de foudre. Ces longues futaies de hêtres donnaient une lumière particulière, ces immenses arbres en décomposition y rendaient l’atmosphère presque feutrée et le vent circulait différemment. C’était la richesse dans le chaos. Un peu une caverne d’Alibaba pour naturaliste ! D'années en années, j'ai beaucoup appris sur ces forêts, sur le fait qu'elles ne bénéficiaient d'aucune protection particulière et qu’elles étaient en grand danger de destruction.

G&V : Vous œuvrez donc aujourd'hui à la sauvegarde de ces forêts vierges...

Notre association a été créée en juillet dernier, et nous venons de démarrer le fundraising. Pour l'instant nous avons donc surtout beaucoup de bonne volonté, quelques pistes et des promesses de financement. Je pense que cela évoluera très vite dans les mois qui viennent. Le volet "achat de terrains" n'a pas encore été mis en place, cela va venir dans les semaines qui viennent avec l'arrivée des premiers fonds. Car j’ai pensé que de mettre en valeur un massif de quelques centaines d’hectares pourrait avoir un impact pédagogique énorme, en particulier sur les populations locales qui ignorent qu’elles dorment à côté d’un trésor fabuleux. L'ensemble des massifs abritant ces forêts primaires est évalué par la WWF à 200 000 hectares.

G&V : Quelles seraient les conséquences d’une disparition des dernières forêts primaires européennes?

B.S. : La conséquence principale serait la perte de la biodiversité causée par la disparition des écosystèmes. Or ces forêts témoignent de 10 000 ans d’histoire biologique continue depuis la dernière grande glaciation. En Europe, rares sont aujourd’hui les écosystèmes qui n’ont pas été anthropisés. Ce sont les vieux arbres en décomposition qui forment d’ailleurs la caractéristique essentielle de ces forêts. Les experts forestiers considèrent aujourd'hui qu'un tiers des espèces menacées le sont à cause de la disparition de ces vieux arbres. En effet, ils servent d'habitat, d'abri et de source de nourriture pour les oiseaux, les chauves-souris et des insectes, en particulier les coléoptères, mais aussi des mousses, lichens et champignons.

G&V : Quels sont les moyens à mettre en œuvre dès aujourd’hui pour éviter un tel désastre?

B.S. : La première des choses serait déjà de bien recenser le patrimoine forestier. En Roumanie les chiffres avancés sont des estimations qui manquent de sérieux. Dans un second temps, il faudrait pouvoir légiférer, mais il se posera alors le problème du dédommagement des propriétaires. Enfin, je dirai, et c’est l’action de Vita Sylvae, qu'il faut sensibiliser les populations des pays concernés à l’exceptionnelle richesse qui les entoure.

G&V : Qu’apporterait à l’homme moderne une plus grande conscience de son environnement, de la nature qui l’entoure?

B.S. : Vaste question ! Je pense qu’aujourd’hui il faut complètement repenser le rapport de l’homme à son environnement et surtout à son environnement naturel. Le grand défi de l’homme occidental des siècles à venir est d’établir un rapport constructif et profondément respectueux de la nature. Comme dirait le philosophe Heidegger, il faut revenir aux Grecs ou aux Romains, qui, lorsqu’ils posaient un pont sur une rivière, ne faisaient pas que relier deux rives. Le fleuve était un monde vivant qui rendait la contrée fertile en la traversant. Savez-vous, par exemple, que la Seine portait le nom d’une déesse, Sequana ? Le fleuve était porteur de vie et non pas seulement un moyen de produire un effet utile. Ils étaient écologistes avant l’heure car ils n’avaient pas perdu le rapport organique à cette même nature.

G&V : Votre expérience personnelle est d’ailleurs un exemple de cette prise conscience...

B.S. : Bien sûr, mais je ne suis pas le seul. Il y a tout un mouvement de la société dans ce sens. Les gens sont en quête de plus d’authenticité et de choses simples qui ont souvent fait le bonheur de nos ancêtres. Regardez Sylvain Tesson, qui va vivre dans une cabane, seul et démuni, au bord du lac Baïkal pendant 6 mois. Actuellement son livre "Une vie dans les forets de Sibérie" est en tête des ventes. Ce n’est pas un hasard. Un mouvement de fond est engagé actuellement dans nos sociétés, trop techno-morphisées à mon goût. Alors, oui, je pense que Vita Sylvae Conservation s’inscrit dans ce mouvement.

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