Dossier Spécial – Un traité pour réguler les transferts d’armes : Défis et Opportunités

Du 2 au 27 juillet 2012, les Nations unies (ONU) accueilleront à New York une conférence diplomatique visant à conclure un Traité sur le Commerce des Armes (TCA). Bien que le résultat final de cette négociation soit encore inconnu, elle offre une occasion historique de définir un « instrument juridiquement contraignant efficace et équilibré qui établirait les normes internationales communes les plus strictes possibles pour le transfert des armes classiques » ainsi que l’a recommandé l’Assemblée générale de l’ONU.

Par Stacy Aubenas Modifié le 9 novembre 2012 à 17 h 00

Du 2 au 27 juillet 2012, les Nations unies (ONU) accueilleront à New York une conférence diplomatique visant à conclure un Traité sur le Commerce des Armes (TCA). Bien que le résultat final de cette négociation soit encore inconnu, elle offre une occasion historique de définir un « instrument juridiquement contraignant efficace et équilibré qui établirait les normes internationales communes les plus strictes possibles pour le transfert des armes classiques » ainsi que l’a recommandé l’Assemblée générale de l’ONU.

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La lutte contre le transfert d’armes illégales

Tout comme le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel ou le Traité d’Oslo prohibant les armes à sous-munitions, l’initiative d’un TCA revient à des groupes courageux de la société civile et des représentants tels que les Prix Nobel de la Paix réunis autour d’Oscar Arias et la campagne Contrôlez les Armes dirigée par Amnesty International, le Réseau international d'action contre les armes légères (IANSA) et Oxfam.

Le processus effectif de négociation a été lancé en 2006 par la résolution 61/89 coparrainée par des pays clés représentant symboliquement les cinq continents (Argentine, Australie, Costa Rica, Finlande, Japon, Kenya et Royaume-Uni). Cinq années de travail préparatoire ont été nécessaires afin que puisse commencer la rédaction d’un traité, laquelle aura pour base un projet du président argentin, l’Ambassador García Moritan. Avant d’examiner les options pour résoudre les principales questions de la négociation, rappelons-en les enjeux.

Un commerce en plein essor et potentiellement dangereux

Le total des dépenses militaires mondiales en 2011 est stimé à 1 738 milliards de dollars. Sur ce volume, le commerce des principales armes conventionnelles dont les chars de combat, navires de guerre, avions et hélicoptères de combat, missiles et lance-missiles, s’élève en moyenne annuelle à quelque 50-60 milliards de dollars en livraisons et environ 30-35 milliards de dollars en contrats. A cela doit s’ajouter un total d’environ 4,3 milliards de dollars de transferts en armes légères et de petit calibre (ALPC) tels que les carabines, les fusils, les armes anti-personnel ou les roquettes antichars.

Les principaux importateurs d’armes en provenance des pays industrialisés sont des pays en développement : 78,9 % de tous les accords inter-gouvernementaux de 2007 à 2010, pour une valeur de quelques 30,7 milliards de dollars en accords en 2010. Une proportion inconnue du commerce licite des armes est détournée vers des utilisateurs finaux non autorisés ou est employée par des gouvernements sans scrupules violant les droits humains ou le droit international humanitaire (DIH), par là-même nourrissant les conflits, les guerres civiles ou la criminalité organisée, et causant essentiellement des victimes civiles. Près de 40% des transactions mondiales sont associées d’une manière ou d’une autre à la corruption.

Les pays du Sud ravagés par le flux incontrôlé d’armes illicites

Sans surprise, le flux des principales armes conventionnelles, qu’il soit licite ou illicite, se dirige en priorité à la fois vers les régions en conflit et les pays émergents aux ressources croissantes. En 2007-2011, l’Asie-Océanie a été la première région d’importation (44 %), suivie par l’Europe (19 %), le Moyen-Orient (17 %), les Amériques (11 %) et l’Afrique (9 %). Les importations de la Chine ont décliné tandis que ses exportations ont doublé depuis 2002. Le Moyen-Orient figure en bonne place parmi les clients des principaux fournisseurs : 30 % pour le Royaume-Uni, 27 % pour les Etats-Unis, 12 % pour la France et 10 % pour la Russie.

Depuis 2002, le volume des livraisons aux pays d’Afrique du Nord s’est accru de 273 %. Principal motif d’inquiétude pour l’Afrique, continent ravagé par les conflits : le flux incontrôlé d’armes illicites, essentiellement des ALPC : sur un stock mondial estimé à 875 millions d’ALPC (dont 650 millions entre les mains de civils), quelques 100 millions sont en circulation en Afrique. Au-delà des innombrables morts directes, surtout parmi les civils, causées par ces armes dévastatrices, leur prolifération et leur abus portent aussi atteinte au développement, font obstacle à l’assistance humanitaire et économique et grossissent les rangs des réfugiés et personnes déplacées.

En Amérique latine, les ALPC causent des morts massives en relation avec la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. Sur un total annuel estimé à 526 000 morts imputables à la violence armée en 2004-2009, la vaste majorité a frappé des pays hors conflit, et la moitié des 14 pays connaissant les taux les plus élevés de mortalité due à la violence armée sont situés en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Des efforts de réglementation limités

Les tentatives de la communauté internationale pour réglementer le commerce des armes et le rendre plus responsable ? Elles ont été limitées jusqu’ici. Au début des années 1990, les Nations unies ont créé le Registre des Armes classiques afin d’encourager la transparence et le contrôle démocratique, mais seulement sur une base volontaire. En 2001, elles ont adopté le Programme d’Action de l’ONU sur les ALPC, puis en 2005 l’Instrument sur le Marquage et de Traçage, tous deux également politiquement contraignants. Quelques accords juridiquement contraignants mais spécifiques ont été mis au point tels que le Protocole de l’ONU sur les armes à feu, entré en vigueur en 2005, et des conventions régionales sur les ALPC dans les Amériques et en Afrique, de même que la Position commune de l’Union européenne (UE) de 2008 « définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires». C’est pourquoi un TCA serait le premier accord universel juridiquement contraignant à introduire des normes et des critères applicables au spectre entier des aspects du commerce international des armes.

Les questions clés à régler

Afin d’atteindre ce but, la communauté internationale devra trouver des solutions adéquates aux dilemmes ou objets de discorde. Pour les Etats-Unis, le TCA devrait essentiellement viser à « rendre plus difficile et coûteux de procéder à des transferts illicites, illégaux et déstabilisants d’armes » mais non de compliquer le commerce international des armes légitime. Pour la Russie, le principal objectif du TCA devrait être d’empêcher le détournement du commerce légal des armes vers les marchés illicites. La plupart des ONG et des autres pays, surtout en Amérique latine, en Afrique sub-saharienne ou dans le Pacifique, entendent que le TAC soit plus ambitieux, c’est-à-dire « puissant et robuste » de façon à réduire les coûts humains des transferts d’armes irresponsables et illicites, prévenir la violence armée, les violations des droits humains et du droit international, et réduire l’impact des armes sur le développement socio-économique. Comme compromis, les négociateurs devraient conclure que réglementer le commerce légal contribuera à la lutte contre le commerce illicite.

La portée du Traité

Au-delà des principales armes conventionnelles, la plupart des pays conviennent que les ALPC doivent être incluses dans la portée du traité puisqu’elles sont reconnues comme jouant un rôle négatif dans les zones de conflits, les violations des droits humains, la criminalité organisée et diverses formes de trafic. Toutefois, certains pays tels que la Chine, l’Egypte ou Israël soutiennent que les ALPC sont déjà couvertes par d’autres instruments, et d’autres encore, comme l’Italie, la Finlande ou le Canada, souhaitent exclure les armes de chasse ou de sport. En outre, bien qu’il soit logique d’inclure non seulement les armes elles-mêmes mais aussi leurs munitions, les Etats-Unis et d’autres pays (Egypte, Indonésie, Inde, Vietnam), tous gros producteurs, arguent notamment qu’ils est difficile d’assurer le traçage des munitions et de contrôler leur exportation. Pour les Etats-Unis, la difficulté essentielle serait celle de faire rapport sur les transferts puisque les munitions ne sont pas enregistrées nationalement (sous l’influence du lobby des armes à feu).

Une solution pourrait consister à inclure les munitions mais à prévoir des exceptions au rapportage. L’inclusion du courtage dans les activités contrôlées constitue aussi un point de désaccord : du fait de la diversité des définitions et réglementations nationales, les Etats-Unis ne sont pas favorables à son inclusion. Au minimum, le TCA devrait prévoir un engagement d’harmonisation des réglementations à long terme. Finalement, à propos des transferts de technologie, des pays émergents tels que le Brésil, l’Egypte, l’Indonésie ou le Venezuela, craignent que réglementer les transferts de technologie dans le domaine des armements affecte leur développement économique. Mais les exclure aboutirait à laisser une brèche dans le traité, de nombreux contrats sur les armes comportant aujourd'hui des transferts de technologie ou des licences pour la fabrication d’armes dans les pays autrefois importateurs.

Les critères de refus d’exporter  

En promouvant un commerce légitime des armes plus responsable et en luttant contre le commerce illicite, le TCA devrait inclure des critères permettant de refuser les exportations d’armes qui auraient pour effets de porter atteinte à la paix et à la sécurité ou de prolonger des conflits, d’être utilisées pour commettre de sérieuses violations des droits humains ou du DIH (y compris le génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre), d’affecter notablement le développement socio-économique, d’être détournées vers des utilisateurs finaux non autorisés et alimenter la corruption, d’être utilisées dans la criminalité organisée transnationale ou des actes terroristes.

Certains de ces critères sont difficiles à accepter pour les régimes autoritaires. Quant aux droits humains, plusieurs arguent que ce critère peut être politisé et que l’appréciation d’éventuelles violations est subjective ; toutefois, la Chine s’est déclarée disposée à mentionner les obligations juridiques internationales sur les droits humains et le DIH. A propos du critère de la corruption, de nombreux Etats, à la fois fournisseurs et clients, conviennent de l’inclure, tandis que d’autres, y compris les Etats-Unis et le Canada, considèrent qu’il doit être traité non pas en relation avec le risque de détournement vers des utilisateurs finaux non autorisés, mais comme élément du mécanisme de mise en œuvre, au moyen de l’obligation de criminaliser la corruption et du rapportage.

Les mécanismes de mise en œuvre

Sur la question de la transparence concernant les transferts d’armes, certains pays en développement invoquent un manque de capacités et de ressources pour refuser un système complet et détaillé de rapportage. Comme dans d’autres accords de maîtrise des armements tels que l’interdiction des mines antipersonnel ou des armes à sous-munitions, le TCA devra inclure des dispositions sur l’assistance et la coopération internationales de la part des pays développés au profit des moins développés.

Certains pays exportateurs craignent que des rapports sur le refus de licences d’exportation exposent des informations sensibles en matière sécuritaire ou commerciale. Cependant, des données agrégées devraient pouvoir être publiées sans dommage, comme suggéré par l’UE, ou des demandes d’éclaircissement présentées en cas de préoccupations, comme proposé par les Etats-Unis. Au sujet de la surveillance du respect des obligations, le projet du président argentin ne prévoit qu’une « Unité de soutien à la mise en œuvre » légère, mais les positions restent encore opposées quant à son financement, son rôle, son autorité juridique, etc. Toutefois, le modèle de la Convention d’interdiction des Armes biologiques pourrait se révéler être une source utile d’inspiration : dans ce cadre, l’unité de soutien n’est pas bureaucratique, et joue un rôle précieux en recevant et en diffusant des informations en provenance et à destination des Etats parties.

La ratification et l’entrée en vigueur

Il serait logique d’exiger que les principaux exportateurs et importateurs ratifient le traité afin qu’il puisse entrer en vigueur mais cela pourrait aboutir à conférer à certains d’entre eux un droit de véto sur cette entrée en vigueur (comme dans le cas du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires). A titre de compromis, on pourrait se mettre d’accord sur un nombre raisonnable de ratifications. Une fois le traité en vigueur, si un grand importateur ou exportateur demeure en dehors du traité, on peut espérer que la pression de la communauté internationale et de la société civile en faveur d’une adhésion sera forte.

Logiquement, les attentes sont élevées à l’égard des positions des Cinq Membres permanents du Conseil de sécurité (P5), responsables de 75 % des transferts d’armes mondiaux. Le succès de la négociation du TCA dépendra de leur capacité à concilier certains de leurs intérêts parfois divergents. Avec l’aide des Etats émergents et des « puissances moyennes », ils ont le devoir moral de répondre aux inquiétudes de la société civile et des populations les plus affectées par la prolifération des armes et la violence armée dans le monde.

Dossier rédigé par l’expert Marc Finaud

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