L’histoire de deux traités

La conférence climatique de Doha n’a été que le prolongement de vingt ans d’échec des négociations sur le changement climatique, depuis le premier Sommet de la Terre à Rio en 1992.

Par Octavia Tapsanji Modifié le 22 janvier 2013 à 15 h 41

La conférence climatique de Doha n’a été que le prolongement de vingt ans d’échec des négociations sur le changement climatique, depuis le premier Sommet de la Terre à Rio en 1992. A l’époque, les pays participants s’étaient engagés à réduire leurs émissions pour les ramener en 2000 à leur niveau de 1990 ; les résultats des pays de l’OCDE ont été de 9 pour cent inférieurs à l’objectif fixé. Le Protocole de Kyoto de 1998 a été un fiasco quasi complet. Et la conférence de Copenhague de 2009 qui devait sauver le monde a également été un échec retentissant.

Jusqu’à présent, les émissions de carbone ont continué à augmenter – à un rythme accéléré – avec des émissions qui en 2011 étaient de 50 pour cent supérieures à celles de 1990. Les vingt dernières années de négociations climatiques ont réduit cette augmentation de près de 1 pour cent seulement.

Si l’on suppose, de manière assez optimiste, que cette réduction sera maintenue au cours de ce siècle, elle limitera l’augmentation des températures de près d’une moitié d’un degré Celsius à l’horizon 2100. Le niveau des océans ne s’élèvera que d’un millimètre en moins. Même en cent ans, ces changements ne seront pas mesurables.

Le coût de ces efforts moins qu’impressionnants s’est probablement élevé à 20-30 milliards de dollars par an – principalement sous forme de croissance économique non réalisée en raison de l’utilisation obligée de ressources énergétiques plus chères. Les bénéfices pour l’humanité – mesurés en termes d’inondations relativement moindres, d’une réduction infime des vagues de chaleur et autres – peuvent être chiffrés à environ 1 milliard de dollars par an. Donc, en termes de rentabilité, chaque dollar dépensé pour mettre en œuvre une politique climatique s’est traduit par 10 cents de bénéfice.

Il est temps de changer d’approche. Il existe pourtant des manières intelligentes de s’attaquer au changement climatique, par la biais de l’abaissement du coût des technologies innovantes des énergies propres ; malheureusement, celles-ci ne sont pas encouragées dans les négociations onusiennes.

Mais si nous devons lutter contre le changement climatique, il est également nécessaire de se souvenir des priorités. Comme d’habitude, une multitude de rapports alarmistes sur le changement climatique ont tenté (et échoué) de relancer l’intérêt pour la conférence climatique de Doha.

La Banque mondiale, s’éloignant de manière décevante de son habituelle approche prudente, a publié un rapport alarmiste intitulé « Turn down the Heat », dont l’un des co-auteurs est William Hare, un directeur de longue date de la politique climatique de Greenpeace. Lors de sa publication, le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim a déclaré : « Nous ne mettrons jamais fin à la pauvreté si nous ne luttons pas contre le changement climatique ».

Vraiment ? Les politiques de lutte contre le changement climatique se sont jusqu’à présent avérées extrêmement coûteuses, tout en n’aidant que peu de monde et dans un avenir lointain. Ce constat vaut particulièrement pour les pauvres de ce monde. Nous devrions peut-être nous souvenir de l’autre cycle de négociation de Doha qui a débuté il y a onze ans, sur la libéralisation du commerce international, et qui pourrait potentiellement venir en aide à une proportion bien plus importante des pauvres de la planète.

Les modèles de la Banque mondiale montrent que même l’accord le moins ambitieux sur une plus grande libéralisation des échanges et la réduction des subventions agricoles générerait des bénéfices importants. L’argument classique en faveur du libre-échange veut que la spécialisation et les échanges profitent à tous, parce que les biens sont produits là où ils sont le mieux produits. Ces modèles montrent aussi que ces gains dits statiques pourraient accroître le PIB annuel mondial de plusieurs centaines de milliards de dollars d’ici la fin de la décennie, dont peut-être 50 milliards pour le PIB des pays en développement. Vers la fin du siècle, le gain annuel atteindrait 1500 milliards de dollars, avec près de la moitié pour le monde en développement.

Mais au cours des dernières deux décennies, un nombre croissant d’études ont démontré que ces gains ne sont qu’une partie de l’argument. L’histoire atteste que les économies ouvertes croissent plus vite, avec pour exemples la Corée du Sud depuis 1965, le Chili depuis 1974 et l’Inde depuis 1991. Tous ces pays ont affiché des taux de croissance nettement supérieurs depuis la libéralisation de leurs économies. Les modèles d'équilibre général calculables présentent un message analogue : même une libéralisation modeste aide les marchés nationaux à devenir plus efficaces et contribue à une meilleure intégration de la chaîne d’approvisionnement et à un meilleur transfert des compétences, entraînant l’innovation. De manière générale, ce bénéfice dynamique  augmente le taux de croissance du PIB.

L’un des spécialistes de la modélisation économique de la Banque mondiale, le professeur Kym Anderson, a montré, à partir d’une compilation récente d’articles économiques, que les avantages à long terme d’une réussite même partielle du cycle de Doha seraient conséquents. A l’horizon 2020, le PIB annuel mondial serait de 5000 milliards de dollars supérieur à ce qu’il serait sans accord, dont 3000 milliards pour les pays en développement. Vers la fin du siècle, des taux de croissance légèrement plus élevés se traduiraient par une augmentation cumulée des revenus dépassant 100.000 milliards par an dont l’essentiel serait au bénéfice du monde en développement.

D’ici là, les gains retirés de la libéralisation du commerce ajouteraient 20 pour cent par an au PIB du monde en développement. Les coûts totaux, essentiellement liés à la fin des subventions accordées aux agriculteurs des pays développés, sont plus de 10.000 fois moindres, tournant autour de 50 milliards de dollars environ par an sur une décennie ou deux.

Ces considérations sont importantes et pas seulement en raison des sommes en jeu. Une plus grande libéralisation du commerce permettra à plus de personnes d’échapper à la pauvreté et d’accéder à une alimentation suffisante et une eau propre. Elle améliorera la qualité de l’éducation et des soins de santé. Elle rendra les sociétés plus résistantes aux inondations et aux ouragans. Et disposant d’un revenu plus élevé, plus de personnes seront en mesure de se soucier de l’environnement. En bref, cette libéralisation permettra un monde meilleur.

Même une conclusion extrêmement optimiste de la conférence climatique de Doha aurait coûté 500 milliards de dollars par an, avec un gain de cinq cents seulement par dollar dépensé. Un accord de libre-échange au terme du cycle de Doha, même modeste, aurait au contraire mille fois plus aidé les pauvres, bien plus rapidement et à moindres coûts.

Il est bien sûr nécessaire de prendre le changement climatique au sérieux et intelligemment. Mais les négociations de Doha sur le climat étaient dans l’impasse dès le début. Si nous voulons vraiment venir en aide aux pauvres de la planète, nous devons relancer l’autre cycle de discussions de Doha.

Bjørn Lomborg