La tarification progressive, futur moteur de la transition énergétique ?

Le Sénat a récemment obligé le gouvernement à revoir sa copie en rejetant en première lecture sa proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie. Le texte prévoit l’instauration de tranches tarifaires pour l’ensemble des énergies de réseau (électricité, gaz naturel, chaleur), dont les tarifs sont progressifs, c’est-à-dire qu’ils augmentent avec la consommation d’énergie du foyer.

Par Leo Tissot Modifié le 29 janvier 2013 à 10 h 30

Le Sénat a récemment obligé le gouvernement à revoir sa copie en rejetant en première lecture sa proposition de loi sur la tarification progressive de l’énergie. Le texte prévoit l’instauration de tranches tarifaires pour l’ensemble des énergies de réseau (électricité, gaz naturel, chaleur), dont les tarifs sont progressifs, c’est-à-dire qu’ils augmentent avec la consommation d’énergie du foyer. Leur calcul repose sur des niveaux de « bonus/malus » appliqués à un volume énergétique de base, spécifique au foyer. L’objectif du dispositif est d’inciter les consommateurs à réduire leurs consommations en amplifiant le gain économique qu’ils peuvent en tirer.

Parmi les « causes d’irrecevabilité » avancées, le non respect de la péréquation géographique tarifaire, sensée garantir les mêmes tarifs sur tout le territoire. Plus généralement, c’est la complexité de mise en œuvre de la tarification progressive qui fait aujourd’hui débat : calcul du volume de base, différenciation par zones géographiques, prise en compte de la qualité thermique du logement, etc. Mais ce débat a-t-il vraiment lieu d’être ? Des solutions devront effectivement être trouvées et il est certain qu’elles ne sortiront pas d’un chapeau magique. Aucun changement n’est simple à mettre en œuvre et celui de la tarification de l’énergie n’échappera pas à la règle. Nous proposons donc de déplacer le débat en posant la problématique différemment : à quoi bon allouer tant d’effort à la mise en œuvre d’une loi qui, par manque d’ambition, ne pourra de toute façon que manquer son objectif ?

Telle que proposée, la progressivité des tarifs est très largement insuffisante pour inciter un profond changement des modes et moyens de consommation : le malus assigné aux fortes consommations ne dépasserait pas 30 % du tarif de base. Sur l’électricité par exemple, le tarif « dissuasif » ne serait que similaire à la moyenne européenne et ne représenterait toujours que 70 % des prix allemands ou encore 60% des prix danois.

Il serait par ailleurs instauré un bonus, allant jusqu’à – 30 % du tarif, dans la limite d’un volume de base restant à définir. Concernant les foyers en situation de précarité énergétique, ce bonus pourrait atteindre – 60 %, leur permettant ainsi de s’acquitter d’une facture réduite… jusqu’à la prochaine augmentation du tarif de base ! Cette mesure, inefficace sur le long-terme, ne fera que retarder artificiellement le problème de la précarité énergétique.

Enfin, la mécanique générale de la tarification progressive proposée viserait un équilibre financier entre les gains des malus et les pertes des bonus. Est-ce réellement souhaitable alors que nous devons entamer au plus vite le chantier colossal de la transition énergétique de notre pays ?

Plutôt qu’un gadget tarifaire incapable de remplir ses objectifs, la tarification progressive peut et doit devenir un outil économique et pédagogique majeur de la transition énergétique. Elle sera temporaire et financera des investissements de long-terme. Afin d’atteindre le niveau des ambitions qu’on lui prête, cette tarification devra nécessairement remplir les trois conditions suivantes :

  • Proposer une méthode de calcul du volume de base cohérente avec les plus hauts niveaux d’efficacité énergétique atteignables
  • Instaurer une progressivité des tarifs réellement dissuasive et incitative
  • Associer au dispositif des programmes ambitieux de réinvestissement des gains économiques générés dans la production d’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique

Calcul du volume de base

Il doit considérer un ensemble d’équipements commercialement disponibles à la pointe de l’efficacité énergétique : systèmes efficaces de chauffage du logement et de l’eau, éclairage 100 % LED, classe énergétique A+++ pour le gros ménager… Les appareils n’apportant qu’un gain de confort limité au regard de leurs consommations (ex : sèche-linge) seront exclus du volume de base. Ce dernier devra aussi prendre en compte un certain niveau d’isolation du bâtiment. Enfin, les équipements permettant d’optimiser l’équilibre offre-demande pourront être favorisés en fonction de leur efficacité (ex : capacités d’effacement diffus, production d’eau chaude sanitaire par accumulation). La tarification progressive doit donc viser un changement comportemental mais doit surtout aller plus loin en incitant à la rénovation de l’équipement et du logement lui-même.

Progressivité des tarifs

Elle doit être beaucoup plus dissuasive pour créer un réel signal prix et améliorer la rentabilité des travaux de rénovation. La Fondation Nicolas Hulot recommande un tarif dans la plus haute tranche au moins deux fois supérieur à celui du « bonus » de la plus basse (le tarif « bonus » étant prévu à 70 % du tarif de base, la plus haute tranche se situerait donc à 140 %). Allons plus loin en visant un tarif maximal approchant les plus hauts niveaux européens (les tarifs particuliers danois sont 2,1 fois supérieurs aux tarifs particuliers français moyens pour l’électricité et 2 fois supérieurs pour ceux du gaz).

Programmes de réinvestissement

Enfin et surtout, au lieu de viser un timide équilibre financier, la tarification progressive doit permettre de dégager un gain économique net que les énergéticiens réinvestiront dans les deux chantiers majeurs de la transition énergétique : l’efficacité énergétique et la production d’énergies renouvelables. Ainsi, des programmes de rénovation des logements devront être proposés aux ménages. Ils s’appliqueront prioritairement aux logements les plus énergivores, qu’ils soient chauffés à l’électricité, au gaz ou au fioul. De la même manière, des programmes similaires devront être développés pour le remplacement des équipements intérieurs inefficaces. Les ménages en situation de précarité énergétique seront prioritaires et se verront proposer des procédures d’urgences intégralement subventionnées. Ils seront alors capables de réduire leur facture énergétique grâce à une baisse de consommation durable au lieu d’un artifice tarifaire temporaire.

Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le coût réel de l’électricité à récemment confirmé, s’il était encore possible d’en douter, que les prix ne pourront qu’augmenter dans les années à venir et que notre seul espoir de maîtriser notre facture est désormais de réduire nos consommations au plus vite. La tarification progressive va donc dans le bon sens en souhaitant inciter à l’efficacité et la sobriété. Il est toutefois nécessaire d’aller beaucoup plus loin grâce à des tarifs beaucoup plus dissuasifs. Surtout, le système ne peut être efficace que s’il est associé à un programme d’envergure de rénovation des logements et de leurs équipements. Ce n’est qu’à ce prix que la tarification progressive de l’énergie pourra devenir un moteur de la transition énergétique plutôt qu’une coûteuse et inutile usine à gaz.

Léo Tissot

2 commentaires on «La tarification progressive, futur moteur de la transition énergétique ?»

  • Tout à fait d’accord effectivement. Une précision importante. Pour plus de lisibilité, l’article présente des bonus/malus en valeurs relatives. Ces valeurs relatives sont calculés sur le prix moyen de l’électricité hors taxe en 2011 selon Eurostat. J’ai donc pris des hypothèses de calcul très conservatrices. En d’autres termes, le résultat est une progressivité finale probablement encore mois marquée…

    A noter toutefois que la dernière version du texte de loi a revu à la hausse cette progressivité. Le malus maximal a par exemple été doublé (même s’il ne sera appliqué qu’à partir de 2017…). Le résultat reste insuffisant mais l’évolution va dans le bon sens.

    Concernant la question de la définition en relatif/absolu, le problème reste entier.

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  • Outre le fait que les valeurs maximales des bonus-malus inscrites dans la loi soient trop faibles, elles ont surtout le défaut d’être inscrites en valeurs absolues (centimes d’euros/kWh) alors que des valeurs relatives (%) auraient été plus efficaces. Dans l’hypothèse, pas complètement infondée, d’une augmentation forte des prix de l’électricité, les valeurs des bonus-malus deviendraient insignifiantes donc sans incitation réelle. En revanche, si les bonus-malus étaient exprimés en valeurs relatives, la force des incitations perdureraient et permettraient de lever plus de fonds.

    D’autres erreurs techniques subsistent dans cette loi pourtant essentielle qui mérite plus de temps avant une formulation définitive.

    Plus de détails sur : http://tarification-progressive-de-lenergie.com/

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