La dernière chance pour un traité sur le commerce des armes ?

Le 29 juillet 2012, les négociations en vue d’un traité sur le commerce international des armes (TCA) se sont achevées sans résultat tangible. Au terme d’années de préparatifs et d’une conférence de quatre semaines, grande fut la déception.

Par Octavia Tapsanji Publié le 7 février 2013 à 0 h 32

Le 29 juillet 2012, les négociations en vue d’un traité sur le commerce international des armes (TCA) se sont achevées sans résultat tangible. Au terme d’années de préparatifs et d’une conférence de quatre semaines, grande fut la déception. De fait, le commerce international des armes est peu soumis à des règles internationales, ce qui rend les armes facilement accessibles et peut infliger de sérieux dommages à plusieurs régions du monde. Un rayon d’espoir provient de l’adoption, le 24 décembre 2012, par l’Assemblée générale de l’ONU, d’une résolution en vue de la reprise des négociations à New York en mars prochain sur un projet de traité qui avait rallié un large soutien. Des considérations liées à la politique intérieure américaine avaient empêché un accord en juillet dernier. Aujourd’hui, avec la réélection du président Obama et son attitude récente sur le renforcement de la législation sur les armes suite à la fusillade de Newtown, il existe une chance que les opposants à la réglementation internationale du commerce des armes soient marginalisés.

À la recherche d’un consensus sur des normes juridiques internationales

Le processus visant à l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes (TCA) a été lancé en 2006 par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU et était censé se conclure par une conférence diplomatique fin juillet 2012. La motivation derrière ce projet était la prise de conscience que de nombreux pays n’appliquaient aucun contrôle national à l’exportation de systèmes d’armes et que les contrôles existants étaient insuffisants ou permettaient des contournements. Il en résultait un encouragement au commerce illicite des armes. Pour y remédier, un TCA devait imposer des normes juridiquement contraignantes afin de rendre obligatoires des contrôles systématiques sur les ventes internationales d’armements.

Compte tenu de la situation géopolitique actuelle et de l’opposition aux restrictions sur le commerce intérieur des armes aux Etats-Unis, cet objectif était certes difficile mais important à atteindre car différentes régions du monde sont en proie à une véritable course aux armements. Selon l’Institut international de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires au Moyen-Orient et en Asie ont pratiquement doublé au cours de la dernière décennie. En outre, l’effondrement des régimes autoritaires d’Afrique du Nord a ouvert la voie au pillage de stocks d’armes considérables, qui se retrouvent dans des régions en conflit encore plus déstabilisées comme le Niger, le Mali et la Syrie. Ainsi, nul n’est besoin de démontrer les dangers résultant d’un commerce international des armes largement dépourvu de contrôles.

Les controverses entourant ce sujet étaient déjà connues et se sont exprimées lors de la conférence : il n’existe quasiment aucun aspect d’un futur TCA qui n’ait fait l’objet de contestation[1]. La règle du consensus, qui accorde de facto à chaque pays un droit de veto, et dont l’adoption parmi les règles de procédure n’a pas été sans difficulté, a fait peser une épée de Damoclès sur la conférence de juillet. Finalement, ce fut l’opposition des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, trois membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et parmi les principaux exportateurs mondiaux d’armements, qui amena la conférence à ajourner l’adoption du TCA. Cette décision conféra à l’Assemblée générale le rôle de dernier recours pour la reprise de la négociation et, peut-on espérer, l’adoption du dernier projet proposé par le président de la conférence, le diplomate argentin Roberto García Moritán.

Des concessions aux principaux exportateurs d’armes

L’échec enregistré en juillet était d’autant plus regrettable que tout avait été tenté, surtout dans la dernière semaine de négociation, pour préserver les “lignes rouges” de ces Etats, ce qui avait exigé d’importantes concessions. Ainsi, les obligations stipulées par le projet de traité se sont finalement révélées très atténuées. Toutefois, conscients du fait qu’un TCA n’aurait de sens qu’avec la participation des principaux exportateurs mondiaux d’armes, les négociateurs se sont montrés disposés à tenir compte de leurs exigences. Par exemple, il a été convenu de réglementer séparément les exportations de munitions, ce qui facilitera la formulation de réserves au traité, ceci afin de répondre à la demande des Etats-Unis. En effet, les Etats-Unis ont déclaré depuis le début des discussions qu’un contrôle des ventes internationales de munitions n’était pas faisable et ne devait donc pas être inclus dans le traité.

En outre, bien que le but d’un TCA n’ait jamais été d’interférer avec les réglementations nationales sur les armes, le dernier projet reconnaissait expressément le droit de chaque Etat de réglementer le commerce intérieur des armes  sur son territoire, ceci afin de préempter les critiques de la National Rifle Association (NRA) américaine selon lesquelles un TCA serait contraire au Deuxième Amendement de la Constitution des Etats-Unis.

D’autre part, afin de tenir compte des exigences de la Russie et de la Chine, de nombreuses concessions importantes ont été accordées. Par exemple, les obligations contractuelles existantes en vertu des accords de coopération de défense conclus avant le TCA seraient exemptées de l’application du TCA, même si elles violaient les critères d’évaluation des contrats de ventes d’armes. Enfin, le dernier projet ne se préoccupait que des transactions commerciales, tandis que les transferts prévoyant des livraisons d’armes gratuites ne seraient couvertes que partiellement ou pas du tout par le TCA. De surcroît, la réglementation du courtage, du transit et du transbordement seraient laissées largement à la discrétion des législations et pratiques nationales.

En dépit de toutes ces concessions, qui ont en vérité considérablement affaibli le TCA, aucun consensus n’a pu être trouvé. Le temps disponible s’est révélé insuffisant pour permettre la conclusion de la négociation, et de nouvelles exigences formulées au cours de la dernière semaine n’ont même pas pu être réellement être discutées.

Le dernier texte proposé comme un compromis par le président contenait de sérieuses lacunes. Certains craignaient même qu’un traité aussi peu contraignant comporte le risque d’affaiblir les normes de droit international existantes, surtout le droit international humanitaire. Son principal défaut est de laisser l’évaluation de la légalité d’un contrat de ventes internationales d’armes à la discrétion de l’Etat exportateur sauf dans les cas de facilitation d’un génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Désormais le dilemme est le suivant : soit essayer de renforcer les obligations du traité et risquer de décourager la ratification des principaux exportateurs d’armes, soit se contenter d’un traité peu contraignant comme point de départ, mais chercher à le développer une fois qu’il sera en vigueur.

Des développements encourageants

En fait, il a été encourageant de constater qu’une majorité d’Etats se sont déclarés disposés à adopter un traité juridiquement contraignant sur le commerce des armes. Cet engagement s’est illustré à la fin de la conférence par une déclaration commune de 90 pays (y compris le Royaume-Uni et la France) exprimant leur déception devant l’impossibilité temporaire d’adopter le TCA et demandant de lui donner une nouvelle chance. En effet, malgré ses lacunes, le projet actuel de TCA introduirait d’importantes innovations. Tous les Etats seraient tenus de soumettre le commerce international des armes  à des contrôles systématiques et la légalité d’une vente internationale d’armes serait évaluée en fonction de critères acceptés par tous.

Un autre développement encourageant est l’inclusion des armes légères et de petit calibre (ALPC) dans la portée du traité, ce qui se heurtait à des oppositions. Ces armes sont abondamment utilisées pour la criminalité organisée, dans les guerres civiles, pour perpétrer des violations des droits humains ou des actes de violence contre les femmes. Leur réglementation offre ainsi un grand potentiel pour diminuer la souffrance humaine provoquée par la violence armée. A cet égard, l’élan en faveur d’un TCA s’est communiqué à la deuxième Conférence d’examen du Programme d’action des Nations unies (UNPoA) sur les ALPC, qui s’est tenue fin août 2012. Certes, ce Programme d’action ne contient que des recommandations politiquement contraignantes, mais s’agissant des ALPC, il trouvera une expression juridique dans les dispositions du TCA.

Dépasser les pressions internes contre des normes internationales

Les négociations en vue d’un TCA ont mis à jour les difficultés bien connues liées à toute discussion sur le commerce des armes et les armements en général. La défense nationale et les armements qui lui sont destinés demeurent l’une des compétences régaliennes de chaque Etat, et les gouvernements hésitent à limiter cet aspect de leur souveraineté nationale par des traités juridiquement contraignants. A cet égard, il n’est nullement surprenant que plusieurs Etats aient vu dans le TCA une occasion de faire reconnaître leur droit de s’armer pour leur légitime défense en vertu de l’Article 51 de la Charte de l’ONU et de garantir leur accès à des armes en application des principes établis de la liberté du commerce au lieu de le restreindre.

L’échec temporaire à adopter un TCA a été regrettable, surtout compte tenu du potentiel d’un tel traité. En particulier les Etats qui se sont finalement opposés à son adoption et qui, eux, appliquent une stricte réglementation des exportations d’armes, ont ignoré les avantages économiques que peuvent offrir des réglementations uniformes du commerce international des armes. La campagne présidentielle aux Etats-Unis a bien interféré dans la négociation : après la fusillade d’Aurora, l’administration Obama a fait le choix de se concentrer sur l’aspect intérieur du contrôle des armes aux dépens d’un traité international. Elle ne se sentait pas capable de résister à la pression du camp républicain ou du lobby des armes sur les deux fronts. Cette décision a surpris jusqu’à leurs plus proches alliés, dont les Britanniques qui avaient figuré parmi les protagonistes les plus actifs du TCA.

En termes de calendrier, l’expérience a montré que, malgré les quatre réunions précédentes d’un Comité préparatoire visant à rapprocher les positions, une conférence de quatre semaines était insuffisante pour générer un consensus sur les questions encore contestées. Cependant, une négociation sous une certaine pression du temps a aussi des avantages, car elle force les délégations à rechercher des compromis avant la date limite.

On peut l’espérer, la réaction positive de nombreux gouvernements au projet de TCA devrait aboutir à l’adoption du TCA en mars 2013 grâce à une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU qui convoque une nouvelle conférence diplomatique à New York sur la base du projet de traité du président[2]. L’adoption de cette résolution a été rendue possible par la réélection du président Barack Obama, qui non seulement n’a plus à craindre le chantage électoral du lobby américain des armes, mais a également décidé avec courage de s’appuyer sur un soutien public croissant en faveur d’un contrôle interne plus strict sur les armes suite à l’atroce fusillade de Newtown. Il s’agit là de la dernière chance pour atteindre au moins partiellement le but affirmé de diminuer la souffrance humaine causée par la violence armée. Certes, ceci exigera des efforts communs pour empêcher le “paquet” déjà approuvé de se déliter et d’ouvrir la boîte de Pandore des amendements visant vraisemblablement à affaiblir encore davantage les engagements existants. Un vrai défi pour la communauté internationale !

Marc Finaud

1 commentaire on «La dernière chance pour un traité sur le commerce des armes ?»

  • C un commerce pr la mort heureusement que des personnes se mobilisent pr arrêter tt ça.c bcp de travail et je leur remercie pr les rues et la sécurité de demain.

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