Agriculture urbaine, effet de mode ou transition vers des espaces urbains « vivants » ?

L’équation agricole se fait aujourd’hui de plus en plus complexe : comment nourrir une population en croissance, de plus en plus urbaine, de manière saine pour le consommateur et pour l’environnement ? Le tout avec de moins en moins de terres agricoles et sous de nombreuses contraintes sur le foncier, les facteurs de production, le climat, le marché…

Par Lauriane Lequet Modifié le 11 février 2013 à 10 h 50

L’équation agricole se fait aujourd’hui de plus en plus complexe : comment nourrir une population en croissance, de plus en plus urbaine, de manière saine pour le consommateur et pour l’environnement ?  Le tout avec de moins en moins de terres agricoles et sous de nombreuses contraintes sur le foncier [1], les facteurs de production [2], le climat [3], le marché… Les projets qui gravitent autour du concept d’agriculture urbaine recouvrent une grande diversité de réalités mais ils ont tous pour point de départ la recherche d’une solution à cette équation.

Les serres des Fermes Lufa, à Montréal

Plusieurs grandes fonctions peuvent les caractériser, l’agriculture au sein des villes pouvant avoir une vocation vivrière, une vocation commerciale ou plus simplement une fonction récréative, éducative.

Le caractère vivrier s’exprime généralement en réaction à une forte crise économique, dans des zones où la compétition pour le foncier urbain est faible. Un des exemples les plus connus est celui de Detroit [4], où, pour faire face à l’ampleur de la crise économique, se sont installées sur les terrains désaffectés de l’ancienne capitale industrielle de l’automobile, plus de 1200 exploitations agricoles, du simple potager hors sol à la ferme coopérative de plusieurs hectares.

Une agriculture urbaine commerciale sur toiture a également pu voir le jour dans des régions où les fruits et légumes sont peu goûteux ou importés sur de grandes distances en raison des conditions pédoclimatiques locales. L’entreprise LUFA [5] s’est lancée en 2007 à Montréal dans la production hydroponique de fruits et légumes et approvisionne déjà 800 abonnés. Plus proche de nous, le projet des serres de Romainville a pour objectif de développer une production d’une cinquantaine de tonnes de fruits et légumes annuels sur les toits de la cité HLM Marcel Cochin. Ces projets sont cependant coûteux (LUFA a investit 2,2 millions de dollars pour sa ferme de 3000 m2), infrastructurels et relativement peu flexibles en terme d’usages (changement d’affectation difficile de la toiture a posteriori). Les conditions de déploiement à grande échelle sont tributaires de l’architecture de la ville (types de toiture, patrimoine) mais le haut niveau de productivité et la possibilité de cultiver hors saison des produits à haute valeur ajoutée peuvent en faire ponctuellement un complément intéressant du maraichage de pleine terre.
En revanche les projets de fermes verticales [6] , qui consistent à cultiver des quantités significatives dans des tours ou des structures verticales avec un minimum d’emprise au sol, verront difficilement le jour sous nos latitudes : non seulement coûteux, au bilan énergétique (construction + opération) controversable, mais où surtout la question des cycles (matière organique, éléments nutritifs, eau, lumière…) en amont et en aval de la production, celle de la biodiversité et du lien humain au vivant y sont difficilement conciliables.

Enfin et plus généralement l’agriculture récréative motive de plus en plus d’urbains et d’associations à cultiver quelques mètres carrés d’un jardin partagé, à aménager des bacs de cultures sur les balcons ou sur les toits, où encore pour des collectivités à créer des espaces verts comestibles : vergers urbains à Caen, « fruit-picking » [7] à Londres, etc. On dénombre ainsi 100 jardins associatifs urbains à Montréal, 80 à New York et 80 à Paris en 2011 [8]. En cause une demande de nature, de « vert en ville » dont la présence est pourvoyeuse de bien-être et d’esthétique, une recherche de lien entre l’homme et le vivant sur un support urbain jusqu’à présent fortement minéralisé. A la manière du « street art » c’est aussi quelque fois l’occasion de s’approprier un espace délaissé de manière temporaire, en reconquérant, à la manière d’Ecobox ou du Guerilla gardening [9] des espaces de friches urbaines par l’installation de jardinières, de bacs de cultures ou le semis spontané. Jardiner est enfin souvent une activité de plein air, multi générationnelle et très socialisante.

Ce que l’on pourrait prendre pour une mode « écolo » amorce une transition plus profonde vers un design urbain au plus près des fantasmes de nature des urbains, avec les risques (mais voyons les plutôt comme des opportunités !) qu’ils comprennent. Car introduire du vivant en ville, c’est introduire de l’instabilité. C’est également repenser totalement les cycles de l’eau et de la matière organique en ville, mais aussi la fonctionnalité des écosystèmes ainsi créés en lien avec l’être vivant qui l’habite déjà : l’homme !

Cela suppose d’amorcer un certain nombre de révolutions culturelles comme la conception du « sale » et du « propre » (excréments, feuilles, fruits tombés à terre,…), la notion de propriété sur des zones temporairement ou définitivement délaissées (friches, ronds-points, chantiers…), la conception et l’entretien des éléments de voirie (trottoirs non imperméabilisés permettant l’implantation de cultures grimpantes), la conception des espaces verts en prévision de leur futur entretien ou non entretien, etc. Notre espace urbain peut aussi devenir un espace d’expression du vivant… pour peu qu’on le veuille bien !

Lauriane Lequet

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