Les médias et la maladie mentale

La décision de tuer au hasard un grand nombre d’innocents révèle chez son auteur un raisonnement profondément perturbé, potentiellement symptomatique d’une maladie mentale. Mais contrairement à la croyance populaire, cela ne signifie en rien que les personnes atteintes de maladie mentale auraient une propension particulière à la dangerosité ou à la violence.

Par Octavia Tapsanji Publié le 13 février 2013 à 0 h 37

Accusé d’avoir ouvert le feu l’été dernier dans un cinéma bondé d’Aurora, au Colorado, James Holmes n’avait aucun passé criminel, mais était toutefois suivi par un psychiatre jusqu’à l’incident. Adam Lanza, suspecté d’avoir tué sa mère et abattu vingt jeunes enfants et six adultes membres du personnel d’une école primaire du Connecticut avant de s’ôter lui-même la vie, n’avait jamais eu de problème avec la justice, mais souffrait d’un « trouble de la personnalité, » et était atteint d’un syndrome affectant le développement, baptisé Asperger. Anders Behring Breivik en Norvège, Jared Lee Loughner en Arizona, Seung-Hui Cho en Virginie – la liste de ces tueurs de masse considérés sous l’angle de leur maladie mentale ne s’arrête pas là.

Le fait est que la décision de tuer au hasard un grand nombre d’innocents révèle chez son auteur un raisonnement profondément perturbé, potentiellement symptomatique d’une maladie mentale. Mais contrairement à la croyance populaire, cela ne signifie en rien que les personnes atteintes de maladie mentale auraient une propension particulière à la dangerosité ou à la violence. Cette idée, alimentée par les médias, contribue à la stigmatisation généralisée des personnes atteintes de troubles mentaux, aggravant leur souffrance, et les empêchant de s’intégrer pleinement à la société.

La perception du public quant au risque de violence associé à la maladie mentale est en parfaite contradiction avec les faits. Aux États-Unis, par exemple, près de 42% des personnes adultes pensent qu’un enfant souffrant de dépression est un enfant potentiellement dangereux. De même, 70% des Américains estiment que les patients hospitalisés pour des troubles mentaux présentent un risque de dangerosité. Or, selon l’American Psychiatric Association, les personnes atteintes de troubles mentaux, qui représentent aujourd’hui près d’un quart de la population du pays, ne seraient responsables que de 4 à 5% des crimes violents. En effet, bien que les individus souffrant de maladie mentale soient plus enclins à commettre des actes de violence lorsqu’ils ne sont pas soignés, ou abusent d’alcool ou de drogues, le risque est bel et bien réduit.

D’un autre côté, l’expérience personnelle contredit généralement l’existence d’un lien entre maladie mentale et violence. Un sondage conduit auprès de l’opinion américaine a révélé que bien que 68% des individus adultes aient connu au moins une personne ayant été hospitalisée pour des troubles mentaux, et que 10% en aient connu cinq ou plus, seuls 9% d’entre eux ont déjà été menacés ou physiquement violentés par l’un de ces malades. Les individus en contact direct avec des personnes atteintes de troubles mentaux, comme les professionnels de la psychiatrie ou la famille de ces personnes, sont ceux qui ont le moins tendance à croire en leur dangerosité.

Ce décalage entre expérience et perception est en grande partie attribuable aux médias, qui se livrent fréquemment à des raccourcis entre troubles mentaux et actes de violence. Une étude sur les journaux d’actualité américains a révélé que 39% des articles portant sur la maladie mentale étaient axés sur les aspects de violence ou de danger. En Allemagne, la forte couverture médiatique des violentes attaques menées en 1990 contre d’importants politiciens par deux individus atteints de schizophrénie a renforcé la perception de l’opinion allemande selon laquelle les malades mentaux seraient des individus dangereux.

Les affaires violentes ayant entraîné le plus de morts sont celles qui attirent le plus l’attention des médias. Le public cherche inévitablement à obtenir une forme d’explication, et, afin de la lui fournir, les médias ont tendance à explorer toutes les pistes potentielles indiquant un trouble mental – témoignages faisant état d’un comportement « étrange » et d’un repli de l’individu sur lui-même, ou preuve d’un passage dans le cabinet d’un psychiatre.

Dans le même temps, les avocats de la défense tentent souvent d’atténuer la culpabilité de leur client en invoquant une démence, comme l’ont fait les avocats de Breivik après que celui-ci ait tué 77 personnes pour protester contre un multiculturalisme qui menacerait selon lui la Norvège. Bien que cette approche soit rarement couronnée de succès – Breivik ayant été condamné à une peine de 21 ans d’emprisonnement – une tendance est largement répandue qui consiste à associer crime et maladie mentale dans l’esprit du public.

Cette idée selon laquelle les personnes souffrant de troubles mentaux présenteraient une dangerosité est par ailleurs mondiale. Elle prévaut toutefois davantage dans les pays en voie de développement que dans les pays développés, l’exception majeure à cette règle étant les États-Unis, où la disponibilité d’armes à feu contribue à l’un des taux d’homicide les plus élevés – et au premier taux d’homicide par arme à feu – parmi les pays développés.

La multiplicité des homicides aux États-Unis suscitant l’intérêt international, les articles et reportages qui s’intéressent aux troubles mentaux de leurs auteurs ou aux plaidoyers de démence dont ils font l’objet attirent l’attention du monde entier sur le sujet de la maladie mentale. La tuerie à laquelle s’est livré Loughner en 2011, ôtant la vie à 19 personnes parmi lesquelles la députée Gabrielle Giffords, a suscité l’intérêt du monde entier, tout comme le recours ordonné par le tribunal en faveur d’une évaluation de ses capacités intellectuelles.

Le journal The Australian  n’a-t-il pas en effet évoqué Gifford à 160 reprises au cours des six mois ayant suivi le bain de sang, n’ayant parlé qu’une seule fois de la députée au cours de l’année l’ayant précédé. Bien que les tueries de masse soient des événements extrêmement rares, même aux États-Unis, l’intérêt médiatique permanent qu’elles suscitent renforce les préjugés négatifs en Amérique comme à l’étranger. Les États-Unis sont à cet égard les exportateurs internationaux d’une stigmatisation de la maladie mentale.

De la même manière, le passé psychiatrique de Cho a largement été évoqué. Ses antécédents médicaux ont par ailleurs été révélés au public deux ans après le drame, ravivant l’idée d’un lien entre son crime – 32 tués et 17 blessés, avant le suicide – et ses troubles mentaux.

Dans un tel contexte, les efforts du président américain Barack Obama dans le sens d’un contrôle sur les armes à feu – prônant une intensification des exigences de vérification des antécédents, ainsi que davantage de financement à l’appui de programmes en faveur de la santé mentale des jeunes – revêtent une importance mondiale. Bien que l’élargissement du spectre des services en matière de santé mentale marque le franchissement d’une étape positive, et qu’il soit susceptible de contribuer à la sécurité physique des citoyens américains, le raccourci ne saurait être toléré selon lequel les personnes atteintes de troubles mentaux seraient des individus dangereux. Au contraire, il est important que le législateur et les médias américains usent de leur influence internationale pour atténuer la stigmatisation à l’égard des personnes souffrant de maladies mentales autour du monde.

Anthony Jorm

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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