Le charbon vert, quelque part entre Kyoto et Fukushima ?

Avec le rachat par Areva de la PME Girondine Thermya en 2012, le leader du nucléaire est devenu le premier groupe au monde à disposer d’une installation de production de « charbon végétal » en fonctionnement. Une technologie aussi appelée torréfaction qui permet de transformer la biomasse en une substance très similaire au charbon fossile extrait des mines.

Par Philippe Freund Publié le 15 février 2013 à 0 h 49

Avec le rachat par Areva de la PME Girondine Thermya en 2012, le leader du nucléaire est devenu le premier groupe au monde à disposer d’une installation de production de « charbon végétal » en fonctionnement. Une technologie aussi appelée torréfaction qui permet de transformer la biomasse en une substance très similaire au charbon fossile extrait des mines.

Rien d’étonnant à cela puisque la biomasse et le nucléaire ont deux points communs importants : ces deux énergies permettent une production d’électricité faiblement émettrice de gaz à effet de serre et une production « en base », c’est-à-dire en continu tout au long de l’année, été comme hiver, de jour comme de nuit. Un avantage par rapport aux autres énergies renouvelables présentant encore un fort potentiel de développement en Europe (énergie solaire et éolienne) qui sont par nature intermittentes.

Pourquoi la biomasse ?

Depuis la signature du Protocole de Kyoto en 2005 et l’accident de Fukushima en 2011, l’Europe est confrontée au dilemme de la production d’électricité : comment produire massivement en réduisant les émissions de gaz à effet de serre mais sans construire de nouveaux réacteurs nucléaires, voire en en fermant ? L’énergie solaire et éolienne sont intermittentes, il faut donc les compléter par d’autres sources la nuit ou quand le vent ne souffle pas ou bien les interconnecter densément pour qu’elles puissent se compléter dans le temps [1]. De plus, ces deux énergies sont liées à des gisements locaux de vents ou de soleil qu’on ne peut, à l’évidence, pas déplacer. Elles nécessitent donc la  construction massive de lignes électriques, la demande électrique étant rarement au même endroit que l’offre. Pour sortir du nucléaire l’Allemagne devra par exemple investir 32 milliards d’euros [2] d’ici 2022 dans ses réseaux électriques pour acheminer  l’électricité éolienne produite au Nord vers les gros centres de consommations au Sud.

La biomasse, elle, peut fonctionner en continu, de jour comme de nuit, quelle que soit la saison. Les biocombustibles (bois, les résidus de scierie, résidus agricoles, cultures énergétiques…) sont aussi stockables et transportables du moment que les distances restent raisonnables (quelques dizaines de km).

Pourquoi la torréfaction ?

La biomasse impose aussi des contraintes. Tout d’abord, même si elle est renouvelable, la biomasse n’est pas pour autant disponible en quantités illimitées. Par ailleurs, son exploitation intensive dans une région donnée peut entraîner des concurrences d’usage de la biomasse (bois énergie/bois d’industrie) ou du sol (cultures énergétiques/cultures alimentaires). Enfin, on ne peut pas la transporter sur des grandes distances en raison de sa faible densité énergétique : un mètre cube de charbon contient 5 fois plus d’énergie qu’un mètre cube de plaquettes forestières [3], or on sait qu’en logistique terrestre et maritime, c’est surtout le volume qui détermine le prix.

Le charbon vert permet de s’affranchir des principales limites de la biomasse. Sa densité énergétique se rapproche considérablement de celle du charbon [4]  et – d’après les constructeurs - la biomasse torréfiée serait hydrophobe, ce qui permettrait un stockage en extérieur. Le charbon vert serait donc transportable sur de plus longues distances et à moindre coût. La disponibilité théorique en biomasse près des zones de demande s’en trouverait donc améliorée. Autre gros avantage de cette technologie : elle permet un usage de la biomasse dans les centrales à charbon existantes sans modifications significatives de l’outil industriel. C’est une bonne nouvelle pour nos voisins allemands qui construisent en ce moment même plusieurs centrales à charbon ou au lignite [5]dont on voit mal la compatibilité avec l’objectif national de 80 % d’énergies renouvelables en 2050 sachant que leur durée de vie est de l’ordre de 40 ans !

Ce tableau idyllique doit être nuancé car la torréfaction n’est disponible à ce jour que sur des unités pilotes ou des gros démonstrateurs (ex : Vattenfall, RWE). Des éléments techniques doivent donc encore être confirmés à l’échelle industrielle : la biomasse torréfiée à grande échelle atteindra-t-elle effectivement la densité énergétique promise par les démonstrateurs ? Les tests de stockage en extérieur en conditions réelles seront-ils concluants ? Les centrales à charbon conventionnelles pourront-elles consommer ce nouveau combustible à des niveaux de 70 % sans modification technique ? Le stade d’avancement de la technologie laisse néanmoins imaginer un déploiement commercial à court terme, sans doute dans 3 à 5 ans.

De nouveaux enjeux environnementaux

L’avènement de la torréfaction, en rendant plus facile le transport, va intensifier les flux de biomasse résultant des différences de productivité et de compétitivité des filières entre régions et pays. N’oublions pas que les zones tropicales ont une productivité biologique jusqu’à 10 fois supérieure à celle des forêts tempérées ! La question de la « durabilité » de ces nouvelles filières va se poser de manière aiguë. Pourtant, au moment de l’écriture de ces lignes, les critères de durabilité ne sont pas clairement établis au niveau européen. Le bilan carbone global de la biomasse torréfiée et transportée sera-t-il acceptable ? L’export de biomasse d’un pays à l’autre ne générera-t-il pas un déficit local ou une concurrence sur les terres arables ? Tout laisse à penser que la durabilité des filières biocombustibles sera un enjeu majeur dans les années à venir, comme c’est le cas pour les filières biocarburants. Pour que cette filière se développe dans les meilleures conditions, il est temps de s’interroger sur les conditions qui en feront une composante significative d’un mix énergétique beaucoup plus renouvelable.

Philippe Freund

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