Pouvons-nous vivre sans nature ?

Nous avons perdu le contact charnel avec la nature et c’est ce qui rend la vie urbaine stressante. Même nos rêves sont désormais ceux d’une nature apprivoisée et non plus sauvage.

Par Octavia Tapsanji Publié le 11 mars 2013 à 0 h 08

Nous avons perdu le contact charnel avec la nature et c’est ce qui rend la vie urbaine stressante. Même nos rêves sont désormais ceux d’une nature apprivoisée et non plus sauvage.

Une continuité se noue en permanence entre notre corps et le monde. Toucher le sol pierreux ou plonger dans l’eau froide d’un torrent nous fait sentir une respiration qui date de bien avant nous. Présents alors qu’aucune humanité n’existait, les éléments naturels, les pierres, les fleuves, les montagnes sont les mêmes sur lesquelles trébuchaient nos ancêtres ! Elles seront encore là dans les éternités à venir. Se baigner dans un ruisseau, marcher dans une forêt nous transforme, à notre insu, selon des lignes de sensibilité qui nous dépassent.

Mais le seul fait de baigner nos yeux dans le jaune d’un champ de colza suffit-il à nous régénérer ?

Le botaniste Jean-Marie Pelt, fondateur de l’Institut Européen d’Ecologie à Metz :  « Désormais même les étudiants qui veulent consacrer leur vie à l’écologie ne savent plus rien du monde des libellules, des têtards, des fougères ou des champignons, et ne leur demandez pas de s’orienter sans boussole ! Ils ne connaissent que la biologie moléculaire qui est abstraite, mentale, desséchante. »

Ressentant ce dessèchement, nous sommes aujourd’hui des foules à avoir « soif de nature ». Une soif dont on s’aperçoit vite, à y regarder de plus près, qu’elle recouvre des attentes variées, rarement lucides, souvent ambivalentes.

Psychothérapeute cognitiviste, auteure de plusieurs ouvrages sur la gestion des émotions, dont le fameux « Comment apprivoiser son crocodile? » ( Robert Laffon 2002), Catherine Aimelet-Périssol liste les besoins que cette soif de nature recouvre chez ses patients. « Ils sont en quête de cinq denrées rares : l’espace, le temps, le silence, la pureté et la beauté. Cinq facteurs dont l’absence rend la vie urbaine si stressante, saturante, épuisante; alors que la nature qu’il s’agisse de la mer, de la montagne, de la forêt ou d’une simple campagne, est censée permettre de les retrouver à coup sûr. Tout ce qui rend la ville difficile doit trouver sa solution dans la nature, pour enfin, respirer, se détendre, renouer avec ses horloges internes, dormir, rire, laisser libre cours à sa gourmandise et à sa sensualité ainsi qu’à son goût pour la méditation, bref, se retrouver soi-même. »

C’est toute l’ambivalence de cette question, puisque d’un côté nous de cessons de tenter  « renaître à notre condition originelle » et de l’autre, de nous affranchir et de nous rendre indépendants de cette terre-mère sauvage et tyrannique voire terrorisante.

Pourrions-nous en fin de compte, nous passer de toute nature sinon et vivre par exemple, loin de la terre greffés à des machines comme dans les visions des transhumanistes Hans Moravec et Ray Kurzwell ?

Depuis la maîtrise du feu, il y a cinq cent mille ans, et surtout depuis l’invention de l’agriculture et de l’écriture, au néolithique il y a dix mille ans, ne nous coupons-nous pas de plus en plus de la nature qui s’oppose à la culture par essence ? Trois limites vont nous être signalées. La première est physiologique. Elle est posée par Catherine Aimelet-Périssol :

« Si notre néocortex fonctionne sur le mode de la stimulation, il n’en va pas de même avec notre cerveau reptilien. Siège de nos fonctions vitales, ce dernier a réellement besoin d’air, d’eau et d’aliments. Exister nous est donc impossible sans tenir compte de notre nature physiologique. La seconde limite est neuropsychologique. Toutes les techniques de relaxation et d’introspection fondées sur le rêve éveillé ( et se créer un avatar en jouant sur le site de type « Second life ») fonctionnent en stimulant des zones du cerveau qui ont déjà été initialisées charnellement. Moyennant quoi, nous pourrions vivre de souvenirs, à ceci près qu’un être qui s’en contenterait aurait toutes les chances de sombrer dans la dépression et l’angoisse. »

La troisième limite est écologique. Pour fabriquer l’être humain, le « laboratoire de la nature » a travaillé pendant près de quatre milliards d’années, aboutissant à une biodiversité d’une complexité prodigieuse, que nous sommes encore loin d’avoir comprise. La nature se révèle des millions de fois plus sophistiquée  que nos technologies de pointe. Il est de ce fait très difficile de distinguer problèmes humains et problèmes non humains.

Par exemple :
une éruption volcanique peut être interprétée de différentes manières ; colère des Dieux, effet telluriques ou secousses amoureuses de géants cosmiques… ; dans tous les cas, il s’agit d’une interprétation, d’une lecture de la nature. Les humains appartenant à la nature, donc leurs productions aussi, agricoles ou industrielles. La question est de savoir ce qui sera retenu par la sélection naturelle. Tout ce qui nuit à la biodiversité sera éliminé.

La nature n’est aveugle et indifférente qu’à ceux qui ne l’écoutent pas. Avons-nous besoin d’elle ? Incontestablement. Et elle a besoin de nous.

Quelques chiffres clés : 5 millions de randonneurs en France ( 15 millions si on compte les randonneurs du dimanche). Mais il y a aussi 350 000 plongeurs, 68 000 apiculteurs ( professionnels et amateurs) et 3000 associations de protection de l’environnement dont la plus ancienne, les Amis de la nature créée en 1895 et qui compte 10 000 adhérents.

Claire Jannot

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