Les monnaies complémentaires d’un système en crise

Elles sont aujourd’hui monnaie courante. Vous en êtes d’ailleurs sûrement des utilisateurs à travers les cartes de fidélité, timbres ou jetons de casino. Mais connaissez-vous le palmas, le Chiemgauer ou l’éco iris ? Et plus important encore : savez-vous quelles théories et remises en question ces monnaies recèlent ?

Par Octavia Tapsanji Publié le 15 mai 2013 à 0 h 55

Elles sont aujourd’hui monnaie courante. Vous en êtes d’ailleurs sûrement des utilisateurs à travers les cartes de fidélité, timbres ou jetons de casino. Mais connaissez-vous le palmas, le Chiemgauer ou l’éco iris ? Et plus important encore : savez-vous quelles théories et remises en question ces monnaies recèlent ?

©Fapipa

« Une monnaie complémentaire est une monnaie qui circule en complément de la monnaie officielle entre un groupe de personnes ayant un objectif commun ». Cette définition proposée par la plateforme MLC, a le mérite d’être claire, bien qu’elle soit  très englobante. Si l’on approfondit la question, on se rend compte que chacune recouvre un projet, des idéaux et une utilité propres. « Normal », me direz-vous, puisque chaque région et chaque communauté est différente. Et pourtant, il existe des traits communs à ces monnaies alternatives. Des réflexions sur l’économie, qui ont le pouvoir potentiel d’ébranler le bienfondé de notre système monétaire international. Coups de projecteur donc sur trois d’entre elles.

Le palmas : relocaliser pour mieux régner

L’action se déroule à Conjunto palmeiras. Une favela dans le Nordeste brésilien, peuplée depuis les années 1970 par d’anciens pêcheurs expulsés du littoral devenu très touristique. Malgré les conditions difficiles, la communauté s’investit dès les années 1980 dans divers projets d’assainissement et de réorganisation des lieux. Chapeauté par une association locale, l’esprit communautaire éclot. Mais le développement pèche par la pauvreté de ces 32 000 résidents, qui manquent d’argent… ou pas !

C’est ainsi qu’une enquête menée auprès des habitants révèle que seulement 20% des achats se font à l’intérieur même de cette zone précaire. Une situation qui interdit tout cycle économique interne au quartier et empêche l’économie locale de fleurir. Conclusion : il faut changer les paradigmes. Et pour ce faire, la ‘relance économique’ passera par l’implantation d’une monnaie locale. Il ne reste plus qu’à gagner la confiance des commerçants et producteurs locaux. Une tâche difficile, mais une base nécessaire à toute monnaie.

C’est finalement en 2002, que le palmas, dont la valeur est calquée sur le réal brésilien, sera officiellement lancé. Aussi, la nouvelle opportunité est accueillie avec enthousiasme. Le commerce local décolle, les ristournes en cas de paiement par palmas fleurissent et l’argent circule.

Remarque intéressante : il est émis par une banque gérée par une association de quartier.  « La nature qui fait les métaux, mais c’est le roi qui fait l’argent », croyait si bien dire Jean Bodin. Et bien voici sa royauté, les banques privées, détrônée du pouvoir régalien de la ‘planche à billets’. Pour résumer: rendons à la communauté, ce qui est à la communauté. Une façon de reprendre son économie en main et de gonfler les chiffres de l’économie réelle.

Le Chiemgauer : cette monnaie qui fond, qui fond, qui fond…

Traversons maintenant l’Océan Atlantique, la Manche puis le Rhin. Bienvenue dans la Bavière, terre mère de l’Oktoberfest, des Lederhosen…et depuis 2003, du Chiemgauer. Une monnaie locale qui a su faire ses preuves et dont la particularité est qu’elle fond. Pas matériellement bien sûr, les billets n’étant pas en sucre. Mais de par sa valeur.

Et pour le comprendre, retour sur le père théorique de cet argent qui flétrit. Il se nomme Silvio Gesell, se considère comme un disciple de Proudhon et sera sorti des oubliettes par l’œuvre de Keynes. Son combat : contrer l’idée classique que l’offre engendre sa propre demande. Et que la monnaie, considérée comme neutre, n’est qu’un facilitateur de transactions.

Pour parler pommes, voici un exemple imagé. Disons que j’ai l’équivalent d’une charrette de pommes et que vous avez un compte en banque plein à craquer. Rien ne vous oblige à m’acheter mes fruits. Mais cet argent qui somnole, contrairement à ma marchandise, ne se détériore pas. Pire, il peut rapporter des intérêts sans même fournir de travail. Vous finissez donc par accumuler des sommes à l’infini, du moins théoriquement, pendant que mes pommes moisissent dans la charrette. CQFD : nous ne sommes pas à égalité.

Bon, le tableau est brossé à grands traits, mais l’idée y est. Une idée qui amène Gesell à imaginer une taxe dégressive sur la monnaie, appliquée au Chiemgauer. Une façon de forcer la main au consommateur, qui dépensera son argent plus rapidement. Mais attention : le billet peut retrouver sa valeur initial. Pour cela, l’épargnant achète un timbre à coller sur le billet, ce qui lui octroie à nouveau sa valeur initiale.

Quant aux bienfaits du système, ils sont de taille. Plus de stockages massifs d’argent, fin de la spéculation monétaire à outrance et le retour à un semblant de troc. Enfin, une rotation de la monnaie 30 fois supérieure à l’euro. Sans oublier une augmentation considérable des ventes constatée par les petits producteurs locaux.

L’éco iris : mais qu’est-ce qu’on rémunère au juste ?

Retour en Belgique avec cette problématique : qu’est-ce que l’argent rémunère ? La production, le risque, la responsabilité… Les idées s’enchevêtrent et la réponse semble complexe. Elle l’est ! Mais qu’en est-il de ces activités et actions, qui sortent du cadre établi par le monde du travail ? Peut-on rémunérer « les comportements durables, positifs pour l’environnement et pour les habitants » ? C’est en tout cas ce que propose de faire l’éco iris bruxellois.

Ainsi, créer son propre jardin, composter ou simplement afficher fièrement ‘no pubs’ sur sa boîte aux lettres, peut rapporter des points. Des points qui correspondent à 10 centimes d’euros et peuvent être dépensés dans les magasins partenaires. Alors bien sûr, le bienfondé d’un tel système d’appâts peut être débattu. Mais n’existe-t-il pas actuellement un grand nombre d’activités rémunérées dont l’apport sociétal ou environnemental est discutable ? Je laisse le débat ouvert. En attendant, voici les Bruxellois encouragés à faire des gestes quotidiens pour l’environnement. Une façon innovante de sensibiliser les habitants au développement durable.

Jan Nils Schubert

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