Afrique, RSE et rentabilité économique

Et si la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) était très rentable pour les organisations africaines ? Cette question a été débattue avec les cadres et dirigeants qui ont participé le 9 et 10 juillet au siège du Groupement Inter-Patronal du Cameroun (GICAM) à la formation sur la Responsabilité Sociétale des agro-industries et de leur chaîne de valeur.

Par Mathieu Viviani Publié le 13 juillet 2013 à 0 h 01

Et si la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) était très rentable pour les organisations africaines ? Cette question a été débattue avec les cadres et dirigeants qui ont participé le 9 et 10 juillet au siège du Groupement Inter-Patronal du Cameroun (GICAM) à la formation sur la Responsabilité Sociétale des agro-industries et de leur chaîne de valeur.

© Anthospace

Pour que RSE rime avec performance économique, il est indispensable d’avoir les bonnes lunettes avec une approche globale.

Prenons le domaine environnemental. Malgré une législation très contraignante, peu d’organisations africaines respectent la réglementation environnementale. Le manque de moyens humains et financiers des autorités, la corruption de certains fonctionnaires, ainsi que la faible pression médiatique et des parties prenantes, surtout des consommateurs, expliquent cette situation.

Dans ce contexte la mise en conformité par rapport aux lois environnementales peut être perçue à court terme par les dirigeants comme un coût important. C’est sans compter sur la pression des donneurs d’ordre, de la montée en puissance d’une classe moyenne d’africains plus sensible à l’écologie, des exigences internationales, d’une nouvelle génération de cadres africains soucieux de RSE et d’une contrainte de cohérence par rapport à l’entreprise qui valorise sa « citoyenneté » pour se différencier de la concurrence et ne peut donc pas rester insensible à son impact environnemental.

A moyen terme, l’internalisation des externalités négatives sera plus coûteuse qu’un respect de la réglementation environnementale à court terme. Une incitation financière de la part des autorités pour les PME peut être indispensable. Déjà confrontées à de nombreuses difficultés quotidiennes, combien de PME africaines peuvent dégager près de 15 000 euros pour une étude d’impact social et environnemental ?

Mais en mettant d’autres lunettes, il est possible même pour les petites organisations africaines de transformer les contraintes environnementales en opportunités économiques. Dans les industries africaines, il y a un gisement important d’économie inexploitée. Pendant la formation sur la RSE des agro-industries nous présenterons quelques retours d’expériences d’entreprises qui ont pu concilier préservation de l’environnement et réduction de coût.

Ces cas sont tirés d’un important projet de l’ONUDI en Afrique du Nord (Maroc, Tunisie et Egypte) qui a mobilisé 43 industries pendant un an pour la réduction de la consommation d’eau, d’énergie et la limitation des déchets. Pour un investissement de 20 millions de dollars, ces entreprises réalisent une économie annuelle de 17 millions de dollars avec un temps de retour sur investissement inférieur à 5 mois pour la plupart.

En plus de transformer l’écologie en business rentable, on peut aussi l’associer au social. Afin d’améliorer le cadre de vie de ses salariés en mettant à leur disposant des logements à moindre coût tout en préservant l’environnement, un grand groupe en Afrique de l’Ouest a misé sur l’éco-construction avec des matériaux écologiques.

Pour l’un de ces responsables « Le groupe va construire 700 logements sur 5 ans. Ce sont des logements écologiques. Nous mettons en place la récupération des eaux de pluie pour la vaisselle et utilisons le toit en fibrociment (sans amiante) qui a les meilleures propriétés d’isolation que les tôles classiques. Avec le ciment et les modes de construction classique, les maisons reviennent à 8 ou 9 millions de Fcfa (entre 12 et 13 000 euros) alors que les constructions écologiques ont un coût de revient de 6,4 millions de Fcfa (un peu moins de 10 000 euros).

Nous allons ainsi construire plus de maisons durables. Lors des constructions, on y intègre également les WC secs. Le groupe a déjà construit 620 WC secs. Leur fonctionnement est simple : séparation des urines et excrétas. Après séchage, ces derniers sont utilisés comme engrais biologiques. Il faut 6 mois de séchage avant utilisation des excrétas.

Les engrais bio sont utilisés pour les pépinières d’hévéa mais pas dans les plantations. Je tiens également à préciser que le tri des déchets a aussi été mis en place dans les logements. Il y a la valorisation des déchets en engrais biologiques »

L’avantage économique et écologique de l’éco-construction en Afrique de l’Ouest l’est également en Afrique Centrale. Dans son édition du 27 mars 2013, le journal camerounais Le Quotidien de l’Economie indiquait que la construction en matériaux locaux et alternatifs permet une réduction de près de 30 % des coûts de construction des bâtiments.

Une autre piste de réduction des coûts, d’économie d’énergie et de préservation de l’environnement pour les industries agro-alimentaires est la fertigation : association des engrais solubles dans les tuyaux d’irrigation. On économise ainsi l’eau, les engrais et l’énergie car le goutte à goutte utilise une pression plus faible que les asperseurs classiques d’après un cadre d’une entreprise agro-alimentaire.

Une autre porte d’entrée pour la corrélation entre social business, réduction des coûts et limitation de l’impact sur l’environnement et la préservation de l’environnement est de miser sur l’augmentation de l’accessibilité du produit et l’économie de la fonctionnalité.

Une entreprise camerounaise a mis récemment sur le marché des bouteilles d’eau minérale de 10 litres en plus de celles 1,5 litres proposées habituellement aux consommateurs. Le succès commercial de cette innovation risque de bouleverser la répartition des parts de marché entre les industriels. En effet le coût de l’emballage représente 40 à 60 % du prix de la bouteille d’eau en Afrique.

La fonction de « boire » dépendant plus du contenu que du contenant, l’augmentation du volume de ce dernier permet ainsi de limiter les pollutions, réduire la pression sur les ressources et surtout les coûts pour le consommateur final. La bouteille d’eau de 10 litres coûte 1300 FCFA (soit 2 euros) alors que celle de 1,5 litres est à 400 FCFA (0,61 euro). Pour l’achat du même volume en eau (environ 10 litres) il faut donc débourser environ 4 euros pour les bouteilles de 1,5 litres.

Les populations du bas de la pyramide avec un budget réduit peuvent ainsi avoir accès à cette eau en bouteille de 10 litres, de meilleure qualité, à moindre coût. L’accessibilité à une eau potable a des répercussions sur la santé et permet de limiter ces maladies hydriques qui causent de nombreux décès en Afrique.

Dans les analyses sur la RSE dans le contexte africain, nous évoquons souvent la problématique de l’informel. Il s’agit d'une question centrale de la RSE en Afrique que les entreprises formelles devraient intégrer dans leur stratégie pour soutenir la formalisation de l’informel à cause de la concurrence déloyale.

Les coûts économiques peuvent se révéler exorbitants. Christian Fosso, le DGA de Fimex International nous a confié que la concurrence déloyale de l’informel était à l’origine de la perte par l’entreprise d’un chiffre d’affaires de 2 milliards de FCFA (près de 3 millions d’euros) pour l’année 2012.

Ils sont encore trop nombreux ces dirigeants africains qui perçoivent la RSE comme un coût. En mettant d’autres lunettes, on pourrait plutôt s’interroger sur les coûts de la non RSE.

Accidents de travail, absences, retards et faible motivation des salariés, tensions avec les communautés locales et les autorités, accès réduit à certains marchés, faible gouvernance, absence d’anticipation des risques et d’innovation, perte des parts de marché et mauvaise qualité des produits, quels sont les coûts économiques de la non RSE en Afrique ?

Cette question mérite réflexion.

Si le coût de la non qualité se situe déjà entre 5 à 20 % du CA qu’en est-il des autres questions centrales évoquées ?

Loin de l’idéologie et des postures défensives, nous devons analyser la RSE avec les lunettes de risques et d’opportunités pour les entreprises africaines.

Thierry Téné

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