Smart grids, l’Allemagne entre tiédeur et entrain

Sur le chapitre des smart grids, et d'ailleurs de l'énergie dans son ensemble, l'Allemagne est sans doute le pays au monde accumulant le plus de paradoxes. Fer de lance des énergies renouvelables, le pays d'Angela Merkel produit 25 % d'électricité issue des EnR et produit 75 % de l'électricité solaire d'Europe. Ayant décidé de rompre avec le nucléaire à l'horizon 2022, il s'est massivement tourné vers l'éolien, le photovoltaïque et la biomasse, mais aussi vers… le charbon. Il est également en tête des pays investissant le plus dans les smart grids… tout en refusant l'installation de compteurs intelligents.

Par Thierry Legrand Modifié le 23 mai 2014 à 9 h 31

Sur le chapitre des smart grids, et d'ailleurs de l'énergie dans son ensemble, l'Allemagne est sans doute le pays au monde accumulant le plus de paradoxes. Fer de lance des énergies renouvelables, le pays d'Angela Merkel produit 25 % d'électricité issue des EnR et produit 75 % de l'électricité solaire d'Europe. Ayant décidé de rompre avec le nucléaire à l'horizon 2022, il s'est massivement tourné vers l'éolien, le photovoltaïque et la biomasse, mais aussi vers... le charbon. Il est également en tête des pays investissant le plus dans les smart grids... tout en refusant l'installation de compteurs intelligents.

Concernant les EnR, l'Allemagne n'a pas à rougir des résultats qu'elle affiche, au contraire. Le pays se place au premier rang mondial pour le solaire, au deuxième pour la biomasse et au troisième pour l'éolien. Le problème, c'est que ces chiffres sont contrebalancés par la part du charbon dans le bilan énergétique. En 2012, charbon et lignite produisaient 45 % de l'électricité allemande.

Cette prééminence s'explique facilement si l'on veut bien regarder par dessus notre épaule. Le passé de l'Allemagne est profondément marqué par cette énergie. L'ascension industrielle du pays, au XIXe siècle, est corrélée à son exploitation. Mais les raisons d'un recours si important au charbon sont aussi à chercher moins loin dans le temps. Le choix de l'Allemagne de se détourner du nucléaire au lendemain de Fukushima pousse le pays à chercher des alternatives énergétiques. Le charbon, vieil allié, en fera partie.

Résultat, les centrales au charbon fleurissent outre-Rhin, et sont responsables d'une pollution atmosphérique monstre, débordant d'ailleurs largement sur le territoire français en cas de vent nord-est. Paradoxalement, l'électricité allemande coûte cher, quasiment deux fois plus qu'en France, notamment à cause des lourds investissements que suppose le déploiement des EnR.

L'Allemagne se trouve donc dans la double position d'être à la fois le pays le plus en pointe d'Europe sur les énergies propres, mais aussi l'un des plus gros pollueurs du continent. Mauvaise opération sur le plan écologique, mais aussi comptable, puisqu'au final les Allemands paient très cher une électricité globalement plus polluante qu'ailleurs.

Comment faire pour enrayer le phénomène ? En continuant d'investir massivement dans les EnR, mais aussi dans les réseaux intelligents, seuls capabes de permettre une distribution optimisée de ces énergies intermittentes et capricieuses. Quitte à alourdir encore un peu la note. Le statu quo est absurde. Le dosage actuel est inopérant, il possède l'inconvénient majeur de la transition énergétique, son coût, mais pas son intérêt premier, la réduction des émissions de CO2. Ne vaut-il pas mieux élever d'un cran la facture, au point ou le consommateur allemand en est, et espérer pouvoir obtenir réellement des résultats ?

Le 7 mai dernier, Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l'Economie et de l'Energie, s'exprimait au sujet du programme "E-energy : Smart Energy made in Germany". Il déclarait notamment : "Nous devons développer les énergies renouvelables et les réseaux éléctriques en étroite collaboration (...), l'exploitation du réseau électrique peut être beaucoup plus efficiace grâce à l'utilisation des TIC". Le ministère a déjà investi 60 millions d'euros dans des projets pilotes, épaulé par des partenaires industriels ayant quant à eux injecté 80 millions d'euros.

En parallèle, l'Allemagne boude les compteurs communicants. Les raisons en sont multiples. Il y a le coût, bien sûr. Selon Frost & Sullivan, le remplacement des 48 millions de compteurs allemands coûterait 6 milliards d'euros. Une somme rondelette, à laquelle viendraient s'ajouter 7,5 milliards d'euros d'installation, d'infrastructures et de gestion du projet.

Par ailleurs, selon Ernst & Young, les spécificités du réseau allemand sont telles que le déploiement systématique de compteurs intelligents n'aurait pas un intérêt fou. En effet, le réseau outre-Rhin est à la fois très fragmenté (plus de 900 distributeurs d'électrcité en tout) et faiblement intégré (plusieurs acteurs interviennent sur la chaîne de valeur). Des paramètres qui rendent difficile la mise en place d'une approche cohésive, or tout l'intérêt des compteurs communicants réside dans la coordination de tous les acteurs de la chaîne, puisque ces derniers se doivent d'être réactifs aux données délivrées par ces compteurs.

Bien, mais Sigmar Gabriel n'a-t-il pas annoncé justement vouloir équiper le réseau allemand de technologies de l'information et de la communication, dont l'intérêt réside essentiellement dans la mise en relation qu'elles organisent entre les chainons du réseau ? Dès lors, les arguments de la fragmentation et de l'intégration du réseau allemand tombent.

Reste le prix. Seul obstacle à franchir si l'Allemagne souhaite persévérer dans sa politique d'abandon du nucléaire, et éviter la demi-mesure inefficiente qui la caractérise jusqu'à présent. La transition énergétique a un coût, certes. Il est élevé, certes. Élevé mais incontournable, malheureusement. Opter pour une solution discount c'est engager des frais en pure perte sur les court et moyen termes, mais pas seulement. En causant des traumatismes écologiques dont la planète ne se remettra peut-être pas une fois la transition achevée, on prend aussi le risque d'être impuissant sur le long terme.

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