Au-delà des mots, la consommation collaborative est une réponse parmi d’autres pour faire face aux évolutions sociétales et aux différentes crises de cette décennie.
Consommation collaborative : entre tradition et modernité
Au-delà des mots, la consommation collaborative est une réponse parmi d’autres pour faire face aux évolutions sociétales et aux différentes crises de cette décennie.
Dès que nous cherchons des solutions aux problématiques actuelles, nous devons nous poser trois questions :
Les solutions d’aujourd’hui deviendront-elles les problèmes de demain ?
La réponse apportée à notre recherche d’un nouveau modèle de consommation correspond-elle à un changement de paradigme ?
Ce modèle aborde-t-il les problématiques de manière systémique ou se situe-t-il plutôt dans la continuité et la binarité ?
De nombreux auteurs semblent découvrir l’économie collaborative, alors que celle-ci a longtemps été la clef de voûte de l’économie rurale. Il nous en est resté des structures associatives, coopératives, mutualistes, qui font partie de cette économie dite sociale et solidaire. Le passage de la société industrielle à la société de la consommation, puis à celle de l’information, a délocalisé notre production industrielle, renforcé l’individualisme en augmentant notre pouvoir d’achat et en développant l’urbanisation, déshumanisé les rapports au travail, transformé le capitalisme entrepreneurial en capitalisme financier.
En contre partie, notre espérance de vie augmente chaque année, nous possédons l’un des meilleurs régimes sociaux au monde et la plupart d’entre nous accèdent à un niveau de confort et un cadre de vie que beaucoup de personnes nous envient. A l’instar des mutualistes, certaines structures de l’économie collaborative développent un capitalisme traditionnel, avec des investisseurs privés, puis rachètent les plus petits, incapables de survivre faute de financements. Nombreux échoueront mais les gagnants feront partie des success stories du web.
Un autre courant se dessine, soutenu par des associations de l’économie solidaire, cherchant à renforcer les liens sociaux, la solidarité collective, la relocalisation économique via une troisième voie que j’appelle "local acteur". Dans cette voie, nous retrouvons les animateurs de la monnaie complémentaire locale et des Systèmes d’Echanges Locaux (SEL), mais aussi les circuits de distribution des producteurs de proximité comme les AMAP, "La ruche qui dit oui" et tout autre regroupement local. Ces différentes approches fonctionnent, car elles ont su transformer le consommateur en acteur en relocalisant une partie de l’économie. Cette troisième voie rejoint en partie celle des locavores qui consomment uniquement ce qui est produit à 50 km autour de chez eux. Sans être dogmatique, nous pourrions élargir le périmètre et notre acte d’achat, aux produits fabriqués en France.
Avec le concept du local acteur, dans lequel se situe la plateforme collaborative locale monECOCITY, nous pouvons envisager d’agir autrement en consommant différemment, de manière plus responsable, plus écologique, plus solidaire, plus économique et par conséquent plus durable. En renforçant les liens sociaux de proximité et la dynamique des territoires, nous pouvons envisager d’accompagner l’émergence d’un nouveau modèle économique construit à la fois sur l’autonomie du local et l’interdépendance entre les territoires.
Autonomie et reliance sont à notre avis les clés du succès de l’économie collaborative du troisième millénaire. Pour réussir cette transformation, il faut que nous comprenions certaines lois du vivant qui régissent le fonctionnement de la nature, à la fois humaine et écologique. Il y en a plusieurs, dont quatre nous semblent importantes à prendre en compte, pour renforcer notre vitalité et faire face aux crises actuelles et à venir.
Elles s’interpénètrent les unes avec les autres de manière systémique.
Se relier à son environnement est la première loi pour agir avec le vivant. Il est essentiel de comprendre le monde dans lequel nous vivons, de remettre du lien avec notre entourage proche, d’être en veille sur les évolutions à venir plutôt qu’en résistance pour les empêcher d’éclore.
Dans ce mouvement généralisé et permanent, nous devons individuellement et collectivement être innovants, pour trouver des réponses ajustées aux évolutions, non pour les freiner mais pour les accompagner. Dans cette période agitée de changement profond, la créativité est de mise. Il ne suffira plus de faire un peu plus de la même chose car nous avons aujourd’hui une obligation de transgresser, de créer des réponses innovantes, collectives et généreuses. L’émergence de la consommation collaborative n’est pas en soi innovante, mais la force du digital vient casser les codes et peut remettre en question une partie de notre économie, basée plus sur la possession que sur l’avoir. En effet, la véritable transformation se situe dans notre regard face à l’objet et sa possession. L’usage peut au fur à mesure l’emporter sur la propriété, le durable sur l’éphémère, et par conséquent, nous pouvons imaginer voir l’émergence d’une nouvelle société basée sur le bien-être et le développement personnel, plutôt que sur la capitalisation de nos avoirs.
La troisième loi est celle du partage : « le être ensemble », le troc, l’échange, le partage d’expériences, l’interdépendance font partie de ces pratiques à développer pour consolider les liens de la communauté. Face à la tempête, la cohésion collective est le moyen le plus sûr d’y faire fasse et de la traverser sans s’échouer sur le rivage.
Pour finir, dans tout système vivant, un changement entraîne une réorganisation du système. Il n’ y a pas de changement sans modification des interactions. La consommation collaborative nous amène à changer nos habitudes de consommation en impactant l’organisation de nos achats et le type de produits achetés. Il faut anticiper, prévoir, s’organiser.
Le concept de local acteur répond à ces quatre lois du vivant. Il correspond à une évolution des besoins de notre environnement. Les solutions locales deviennent de plus en plus innovantes et se construisent autour de la notion du partage obligeant ainsi à s’organiser autrement pour passer à l’action.
Malgré l’intérêt d’un tel concept, les freins et les obstacles sont nombreux. Ils sont d’ordre économique, car l’approche vient bouleverser le modèle économique traditionnel en modifiant les circuits de livraison, en rallongeant la durée d’utilisation d’un produit et surtout en rendant le consommateur plus acteur et moins névrotique dans ses actes d’achats. Ils se situent également dans notre incapacité à créer de la transversalité entre les structures, plus en compétition qu’en coopération. Pour finir, les obstacles sont également idéologiques, car beaucoup d’acteurs bénévoles sont avant tout des militants engagés autour d’idées qui ne supportent pas le moindre compromis.
En conclusion, nous constatons qu’il y a un mouvement en marche qui oscille entre conformité et transformation, entre tradition et modernité. Il revient à chaque communauté d’influer sur le chemin à prendre. L’acte du consommateur que nous sommes deviendra demain un véritable acte citoyen, qui orientera la nouvelle économie du partage ou consolidera à nouveau l’économie traditionnelle, qui ne sera plus uniquement basée sur la destruction des richesses naturelles.
Francis Karolewicz