Dans un monde placé sous le signe de la haute technologie, l’accès aux terres rares est un enjeu majeur des prochaines décennies. Mais face au quasi monopole de la Chine et la raréfaction de l’offre pour les entreprises des pays de l’OCDE, comment répondre à la demande de ces minéraux tout en préservant l’environnement ?
La course aux terres rares bat son plein en Occident
De l’Union européenne aux États-Unis en passant par le Japon, dans un monde placé sous le signe de la haute technologie, l’accès aux terres rares est un enjeu majeur des prochaines décennies. Mais face au quasi monopole de la Chine et la raréfaction de l’offre en terres rares accessible aux entreprises des pays de l’OCDE, comment répondre à la demande exponentielle de ces minéraux tout en préservant l’environnement ? Green et Vert s’interroge à l’occasion de la 7ème édition de la Conférence internationale sur les terres rares qui se déroule du 15 au 17 novembre à Hong Kong.
Raréfaction et pollution
Raréfaction. Voilà un mot qui donne la chair de poule aux leaders économiques et politiques des pays membres de l’OCDE. Car mine de rien, les 15 métaux du groupe des terres rares sont indispensables dans les domaines de l’aéronautique, la santé, l’automobile, l’armée ou les énergies renouvelables. La terre et la mer sont ainsi devenues le terrain de jeu des géologues. En octobre, 393 projets d’exploration étaient en cours dans 35 pays, hors Chine, conduits par 244 entreprises. En tête des gisements se chiffrant en millions de tonnes d’oxydes de terres rares : Kvanefjeld au Groenland, Montvieil au Québec, Mount Weld en Australie et Mountain Pass en Californie. Mais combien produiront les précieux métaux et quand ? « Seuls Mount Weld et Mountain Pass sont susceptibles de produire rapidement des terres rares», nous informe Patrice Christmann, Directeur adjoint de la Stratégie au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Cette recherche tout azimut des terres rares « reflète une compétition économique où les grands blocs géopolitiques se livrent une véritable bataille technologique », précise le chercheur. Mais leur exploitation est coûteuse et il est toujours plus difficile d’atteindre des gisements plus profonds, plus éparpillés et moins concentrés. « En envisageant une économie dopée aux terres rares avec un taux de croissance annuelle de l’ordre de 10 à 15% par an de certaines applications des terres rares, nous pourrions nous heurter à des problèmes de déficit d’offre de certains métaux comme le dysprosium ou l’europium.»
Et puis, il y a les défis environnementaux. Les nombreuses étapes de séparation et purification des éléments sont sources de pollution. « Beaucoup de gisements de terres rares peuvent contenir du thorium et de l’uranium », souligne le Directeur adjoint de la Stratégie au BRGM. Des produits potentiellement toxiques émanant des résidus de la métallurgie des terres rares peuvent polluer les sols et les eaux si une gestion rigoureuse de ces effluents n’est pas mise en place. Par ailleurs, si les 15 métaux sont aujourd’hui essentiels, il est important de réduire leur consommation d’eau, d’énergie et de produits chimiques ; ainsi que les déchets liés à cette production. « Les chercheurs s’affairent à trouver des solutions plus écologiques, mais il apparaît urgent d'intégrer la protection de l'environnement dans les politiques de développement du secteur des terres rares» ajoute-il. Enjeu, actuellement invoqué par la Chine pour le lancement de son vaste plan de restructuration de son industrie minière et métallurgique.
La Chine en tête du leadership des terres rares
Dire que ce n 'est qu' à partir des années 60, avec l’avènement de la télévision couleur, que ces minéraux suscitent un réel intérêt, notamment en Chine. Le gouvernement ayant compris très tôt l’avantage compétitif pour son économie d’une maîtrise des filières industrielles nécessitant des terres rares. A l’opposé, « aucun dirigeant occidental, jusqu’à ces toutes dernières années, n’a perçu les enjeux économiques et industriels liés aux terres rares.» Pour preuve, ajoute Monsieur Christmann, « la Chinese Society of Rares Earths créée en 1980 compte 100 000 membres, alors que la European rare earth society a quelques centaines de membres». Le verdict est sans appel. Plus de 97 % de la production mondiale des éléments de terres rares proviennent de la Chine.
Forte de son monopole, depuis 2005, la Chine a progressivement réduit ses quotas d’exportation et mis en place un système de taxes à l’exportation avantageant ses entreprises. Officiellement pour protéger ses réserves et l’environnement. Officieusement pour donner un avantage compétitif aux industriels chinois. Cette distorsion entre l’offre et la demande n’a cessé de faire augmenter les prix. Et si ces derniers sont en baisse depuis quelques mois, peut-être est-ce seulement « dû aux craintes de certains spéculateurs quant au retard de certains projets » explique le chercheur du BRGM. Il rappelle que «les prix élevés tuent les prix.»
Réduire à tout prix la dépendance à la Chine
Mais justement, cette hausse des prix est du pain béni pour le Japon, dont l’économie repose principalement sur des produits à forte valeur technologique. Un projet de loi qui devrait entrer en vigueur en 2014 prévoit d’étendre l’obligation de recycler les métaux rares contenus dans les automobiles, les appareils électroménagers et les équipements informatiques et électroniques. L’Union européenne mise également sur le recyclage. Car si en Suède et en Finlande il existe quelques gisements importants, l’Europe paraît relativement pauvre en terres rares. Or, elles sont essentielles pour le développement d’écotechnologies innovantes permettant d’améliorer l’efficacité énergétique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
En France, Récylum, l'éco-organisme en charge du recyclage des ampoules, a mené une opération de sensibilisation en octobre dernier pour démontrer que le plus grand gisement de métaux rares de l’Hexagone est dans nos poubelles. L’enjeu est important car « réutiliser nos déchets nous permet d’alimenter nos usines et ainsi conserver des emplois » souligne Hervé Grimaud, le Directeur Général de Récylum. A ce jour, « l’éco-organisme collecte de l’ordre de 4.000 tonnes de lampes par an contenant environ 17 tonnes de terres rares. » Parallèlement, la société Rhodia, accompagnée dans sa démarche par Récylum et le BRGM, a mis au point un procédé de recyclage des terres rares contenues dans les lampes. Mais restons lucides : « les déchets ne pourront jamais subvenir à l’ensemble des besoins car ne pouvons pas récupérer 100% du produit et donc pas 100% de la matière » précise Hervé Grimaud. « L’éco-conception et la substitution sont également des solutions à développer. » La première solution encourage le développement de technologies moins gourmandes en terres rares, et la seconde à substituer leur usage par celui de substances moins rares.
La substitution, une alternative ?
En parlant de substitution, des géants de l’automobile comme Toyota ou General Motors misent sur le moteur à induction qui n’utilise pas d’aimants à base de terres rares. De même, General Electric a annoncé en août le développement de générateurs d’éoliennes moins gourmands en terres rares. Ces progrès sont encourageants, « mais des recherches sur le cycle de vie sont nécessaires pour que ces produits de substitutions ne produisent d’autres pressions écologiques. » précise Patrice Christmann. Pour l’essentiel, la question complexe des terres rares donne autant de raisons de percevoir des risques de conflits que de voir apparaître des formes de coopération internationale.
Sonia Eyaan
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