Suite à la prise de son indépendance en 1947, l’Inde a directement voulu amorcer un processus d’industrialisation massive de son outil de production. Un tel projet ne pouvait être envisagé sans le développement préalable d’un secteur agricole suffisamment robuste pour subvenir aux besoins alimentaires primaires d’une armée de potentiels travailleurs industriels.
La Révolution verte
C’est par le biais d’une Révolution verte, dans les années 1960, que l’Inde a pu développer considérablement son agriculture. Notamment grâce à l’utilisation massive d’engrais chimiques et de pesticides. A court terme, ces produits ont engendré des rendements faramineux, bien au-delà des espérances des 650 millions de paysans indiens. Mais l’illusion verte a été de courte durée : terres rendues stériles, appauvrissement des sols, perturbation de l’équilibre de la biosphère,… autant de conséquences du productivisme démesuré en mal de rendements immédiats et nullement respectueux du processus long et laborieux de régénération des terres. A l’heure où des centaines de paysans indiens ne voient d’autres solutions que le suicide face à leurs difficultés, peut-on encore parler de « révolution » pour qualifier le développement agricole indien? L’industrialisation de l’Inde devait-elle se faire au détriment de sa population, pour la plupart dépendante du secteur agricole ?
Les conséquences économiques et écologiques de la Révolution verte en Inde
Il est important de souligner la grande dépendance agricole de l’Inde. En 2006, l’agriculture représentait 22% du PIB indien et 52% des emplois. Entre 2004 et 2005, du fait de précipitations moins importantes, le PIB réel a perdu 1,6 points, passant ainsi de 8,5% à 6,9%. Les chiffres ne manquent pas pour décrire la soumission de l’économie indienne aux fluctuations des cycles agricoles.
Un tel constat ne remet-il pas en question la sécurité alimentaire de la population indienne ?
Lors de la mise en œuvre du projet de révolution verte, les rendements ont été bien meilleurs encore que ce que l’on espérait. Par exemple, dans l’Etat du Penjab, dans les années 1980, les rendements du blé et du riz ont été multipliés par trois et la productivité agricole a augmenté de 6% par an. Pourtant, les techniques ultra-productivistes ont eu raison de la santé des sols, qui, à cause de l’utilisation importante de solutions chimiques, ont été appauvris et rendus stériles. Les retombées économiques et sociales ont été immédiates. Les paysans, à qui l’on avait promis des rendements de long terme, ont dû lourdement s’endetter pour acheter de nouveaux produits. Dans l’espoir de forcer une dernière fois des sols inaptes à produire quelque nouveau produit que ce soit… 1 million et demi d’hectares ont ainsi été détruits au fil des années, et des milliers de paysans laissés pour compte.
La vague déferlante de suicides de paysans indiens
Au sud de l’Inde, dans l’Etat d’Andhra Padesh, près de 5000 hommes ont attenté à leurs propres vies depuis 1997. A lui tout seul, cet Etat comptabilise près des trois quarts des suicides d’agriculteurs indiens. Les causes de telles réactions ? Une insolvabilité ne permettant pas de rembourser les emprunts contractés pour acheter plus de produits fertilisants ; une incapacité à faire face à des taux d’intérêt faramineux fixés par des « sociétés financières locales » et des prêteurs privés sans pitié.
Certaines communautés agricoles sont même allées jusqu’à mettre en œuvre des solutions extrêmes et sans issue. C’est ainsi qu’au Penjab, six villages ont été mis aux enchères pour rembourser leurs dettes, avant que leur population ne se suicide collectivement. D’autres, tels qu’au Chingapour, n’hésitent plus à organiser des « marchés humains », où les produits vendus ne sont autres que des organes, en majorité, des reins…
Au 21ème siècle, on ne peut accepter que de tels événements aient encore lieu. Quelles solutions peut-on envisager pour changer les choses ?
Les solutions envisagées
On ne peut tolérer que des individus en viennent à se suicider du fait de leur insolvabilité face à des institutions sans pitié ni vergogne, prêtes à fixer des taux d’intérêt sans cesse plus élevés. C’est pourquoi, en 2004, le gouvernement indien a décidé de mettre en place un moratoire d’un an sur les emprunts agricoles. Une telle mesure cherchait à contenir l’agressivité des prêteurs, afin d’alléger la pression exercée sur les paysans souscripteurs. D’autres mesures ont été prises pour de faire face au fléau des suicides. En 2005, la Banque mondiale a débloqué 7,8 milliards d’euros pour financer le développement rural dans les trois années suivantes.
Le rôle croissant de la Société Civile
Du fait de l’engagement limité de l’Etat indien, c’est la société civile qui a permis un véritable progrès dans la lutte contre les suicides de masse. De nombreuses ONG et Institutions de micro-finance (IMF) sont venues en aide aux paysans afin de les soutenir financièrement. Grâce à ces groupes d’entraide (Self-Help Group), les paysans ont pu retrouver une certaine sérénité financière et rembourser progressivement et de façon échelonnée leurs crédits.
La Révolution verte, une véritable révolution pour les pays en développement ?
Du fait de la technicisation et du productivisme toujours croissant de l’outil de production agricole, d’immenses déséquilibres tant environnementaux que sociaux sont apparus. Dès lors, la crise écologique indienne fait désormais écho à la crise économique, sanitaire et sociale. Peut-on encore tolérer que l’industrialisation de l’Inde se fasse au prix du sacrifice de sa population ?
Edouard Deschamps et Monica Jahangir