Interview avec Lamya Essemlali. Enfant de la banlieue parisienne, elle a cofondé l’antenne française de Sea Shepherd en 2006, et écrit un livre d’entretien avec Paul Watson (Capitaine Paul Watson, entretien avec un pirate, de Lamya Essemlali, Glénat).
Lamya Essemlali : “Êtes-vous prête à risquer votre vie pour une baleine ?”
Interview avec Lamya Essemlali. Enfant de la banlieue parisienne, elle a cofondé l'antenne française de Sea Shepherd en 2006, et écrit un livre d'entretien avec Paul Watson (Capitaine Paul Watson, entretien avec un pirate, de Lamya Essemlali, Glénat). Propos recueillis par Eva Wissenz sur LaSeiche.
Est-ce que vous venez d’un milieu sensibilisé à l’écologie ?
Pas du tout. J’ai grandi dans un milieu très éloigné des considérations écologistes. Aussi bien en famille qu’à l’école, j’ai toujours été étiquetée comme « l’amie des animaux » ou « l’écolo de service ». Mon engagement est né d’une incompréhension. Je n’ai jamais compris pourquoi, on pratiquait une telle discrimination envers les animaux. Cela m ‘a toujours semblé profondément injuste, cette indifférence que suscite leur souffrance… Cela m’a rendue d’autant plus empathique à leur égard. J’ai eu envie de défendre ceux qui sont sans défense et dont tout le monde se fiche. De là est né ensuite, mon engagement écologiste.
De fil en aiguille, j’ai découvert les atrocités commises par mon espèce contre la Nature, notre cupidité, notre arrogance, notre égoïsme… J’ai aussi vu que si une majorité reste indifférente, quelques uns se battent. Ils ne sont pas nombreux mais j’ai eu envie d’en faire partie. Je ne pouvais pas concevoir ma vie autrement. Ce n’était pas gagné au départ, je n’avais pas de formation scientifique et j’ai donc fait une remise à niveau avant de reprendre la fac à 24 ans jusqu’à obtenir mon Master en Sciences de l’Environnement. Ce master n’est pas indispensable mais nous vivons dans un pays qui sacralise les diplômes. J’ai appris beaucoup de choses à l’université mais les connaissances fondamentales je les ai apprises avec Sea Shepherd, avec Paul Watson et tous ces activistes passionnés que j’ai rencontré à bord des bateaux de l’organisation, pendant ces missions en mer en Antarctique, aux Galápagos et ailleurs. On ne délivre pas de diplôme pour ça et pourtant, ce sont mes meilleures armes.
Qu’est-ce qui a décidé de votre engagement dans l’association des Sea Sheperd ?
J’étais investie dans différentes organisations écologistes (bien plus connues que Sea Shepherd) mais dans lesquelles je ne me retrouvais pas vraiment. Trop consensuelles à mon goût. Lorsque j’ai rencontré Paul Watson, en 2005, je me suis reconnue dans son discours et dans ses prises de position.
Avant de m’engager avec Sea Shepherd, je me suis renseignée sur tout ce que les détracteurs de Paul Watson et de Sea Shepherd avaient à dire. Ils n’ont fait que me convaincre davantage. Sea Shepherd dérange et c’est un corollaire de son efficacité. Une organisation qui se contente de signer des pétitions ou de faire du mailing ne s’attirera pas beaucoup d’ennemis. Une organisation qui fait de l’intervention directe, qui ne se contente pas de protester ou de dénoncer mais qui intervient physiquement, comme le fait Sea Shepherd est susceptible de s’attirer de puissants ennemis. Paul Watson dit souvent qu’il mesure l’efficacité de Sea Shepherd non seulement à la quantité de ses sympathisants mais d’abord et surtout à la quantité de ses détracteurs.
Il est beaucoup question de Greenpeace dans le livre. Pourquoi avoir tellement parlé des raisons du différent avec Paul Watson ?
Même si c’est de moins en moins le cas, les gens continuent à confondre Sea Shepherd et Greenpeace et cela n’a rien d’anodin. Paul Watson est un co-fondateur de Greenpeace (même si ses dirigeants actuels le nient) et ce qu’elle est devenue le touche particulièrement. Il dit souvent qu’il a le sentiment d’être Frankenstein et d’avoir contribué à créer un « monstre vert ». Mais sa réaction vient en réponse à des accusations de Greenpeace à son encontre (violence, éco-terrorisme) ou à des communications malhonnêtes (comme faire croire au public qu’ils combattent activement la chasse baleinière).
Je peux comprendre que vu de l’extérieur, la première réaction puisse être « Mais pourquoi ces deux organisations aux objectifs similaires ne peuvent elles pas s’entendre ? » La première réponse à cela est que Sea Shepherd a plusieurs fois proposé à Greenpeace de s’allier sur certains objectifs (chasse baleinière, pêche illégale du thon rouge). Greenpeace a toujours refusé. La deuxième est que malgré les apparences, je ne pense pas que les deux organisations aient les mêmes objectifs. Greenpeace est devenue une gigantesque multinationale dont l’objectif premier est d’augmenter sa base d’adhérents et ses fonds propres. A mon sens, les ONG qui ont pris ce tournant deviennent une partie du problème qu’elles prétendent résoudre. Tout le monde n’a pas envie d’entendre cet état de fait, personne n’a envie d’être déçu surtout lorsque l’on soutient financièrement ou que l’on milite depuis longtemps pour une organisation. Mais le mouvement écologiste doit être capable de faire son autocritique s’il veut avancer et force est de constater que le monde associatif n’a rien à envier au monde de l’entreprise en terme de cynisme et d’arrivisme. Les gens devraient être plus vigilants, être moins dupes des stratégies marketing et demander des comptes sur des résultats concrets, et pas seulement des victoires auto proclamées ou une communication bien huilée. On s’attarde sur Greenpeace parce qu’ils s’attribuent certaines victoires de Sea Shepherd (contre la chasse baleinière ou pour le thon rouge, entre autres) et qu’ils sont l’une des seules organisations qui nous qualifie publiquement d’éco-terroristes… mais ils ne sont pas les seuls à être concernés par les critiques que nous faisons du « Charity Business ».
Vous présidez le bureau français de Sea Sheperd, en quoi ça consiste concrètement ?
L’antenne Française de Sea Shepherd a comme les autres antennes nationales, la mission première de faire connaître les enjeux sur lesquels travaille l’organisation à l’échelle internationale. C’est devenu la troisième antenne mondiale et la première en Europe en terme de soutien aux missions en mer. A moyen terme, nous développerons sans doute des campagnes locales mais nous agissons déjà sur des enjeux locaux de braconnage par des recours légaux.
Combien y a t-il de membres actifs ?
Sur la France, on travaille avec une centaine de bénévoles réguliers qui se répartissent sur 13 groupes locaux, chacun dirigé par un coordinateur local. Sur les navires 88 personnes travaillent simultanément quand on « fait le plein ». Avec le 4e navire, que l’on acquière prochainement, cela portera à plus de cent le nombre de personnes embarquées sur les plus grosses missions, comme celles contre la chasse baleinière dans le sanctuaire de l’Antarctique. Dans le monde Sea Shepherd compte environ 60 000 donateurs. Ce sont eux qui nous permettent de financer nos campagnes et d’entretenir les navires.
Qu’est-ce que vous aimez dans ce que vous faites ?
Mon job est une passion. Je ne le conçois pas comme un travail au sens classique du terme. Ce que j’aime particulièrement avec Sea Shepherd, c’est que je n‘ai pas le sentiment d’être un pion dans une énorme structure. J’ai vraiment le sentiment de contribuer à faire évoluer les choses, à mon échelle, à l’échelle de l’organisation. Il ne s’agit pas de sauver le monde, mais de faire sa part. Alterner les missions en mer et le développement de l’antenne de Sea Shepherd France est extrêmement épanouissant. Je vis mon engagement comme une passion indéfectible qui ne faiblit pas, qui ne pourra mourir qu’avec moi. J’estime avoir beaucoup de chance. Je pense que ce qui a contribué à m’amener où je suis, c’est d’avoir donné la priorité à mes envies, à mon instinct. De ne pas avoir privilégié la sécurité à la liberté. Pour avoir une chance d’être heureux, il faut toujours s’écouter. Ce n’est pas toujours facile. Cela demande un peu de courage et beaucoup de volonté. Mais le jeu en vaut la chandelle.