Vous l’avez compris, pas besoin de répéter que l’impact de l’agriculture sur les ressources en eau n’est pas durable. Pas besoin non plus d’imaginer le pire des scénarios catastrophes : l’Amérique du Nord et l’Europe s’en allant en guerre pour étancher la soif de ses populations. Quoique… Les conflits de l'eau au Proche-Orient prouvent que l'hypothèse n'est pas si farfelue. À ce propos, le Professeur Graciela Chichilnisky, instigatrice du marché du carbone, rappelle que
Le recul de la banquise suite au réchauffement climatique provoque des frictions entre le Canada, les États-Unis, la Russie, le Danemark et la Norvège.
Harmonisation des politiques de l’eau
L’heure est-elle venue de sonner le glas de l’urgence? C’est chose faite! Depuis le 23 octobre 2000, lorsque les pouvoirs publics européens ont adopté la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) avec pour objectif affiché « d’harmoniser les politiques de l’eau sur des bases objectives et comparables à l’échelle européenne. » À l’échéance 2015, les eaux de surface doivent avoir un bon état écologique et les eaux souterraines un bon état chimique et quantitatif.
Et c’est tant mieux, car une coordination des politiques s’impose à l’échelle européenne pour prévenir la crise de l’eau. Reste que les pays peinent à accorder leurs violons. « La diversité des situations locales rend difficile la mise en vigueur de la directive cadre» nous confie un membre de la Commission Européenne sous couvert de l’anonymat. Aux Pays-Bas, 95% des masses d’eau de surface sont considérées comme étant en situation de risque contre 20% en Estonie analyse le Water Information System For Europe. Côté finance, «la Roumanie ne possède pas une enveloppe budgétaire hydrique aussi garnie que celle de la France.»
De toute façon, bon nombre d’experts estime que la règlementation ne suffira pas à freiner l’appétence en eau des agriculteurs. Peter Borkey, jusqu’à peu responsable d’une équipe travaillant sur l’eau à l’OCDE estime que
Les États devraient réduire les subventions qui réduisent le prix de l’eau pour les agriculteurs et d’autres acteurs économiques car elles ne les encouragent pas à adopter un comportement responsable.
Rareté et valorisation de l’eau
Il est d’autant plus légitime de s’interroger sur la pertinence de ces subventions que le prix de l’eau payé par les agriculteurs ne reflète que rarement le coût des infrastructures, les valeurs sociales et environnementales de la ressource, ainsi que sa rareté. De toute évidence, c’est ce que semblent penser les membres de la Fondation Water Footprint Network, si l’on se réfère au concept d’empreinte en eau ; un indicateur de l’usage direct et indirect de l’eau par le consommateur ou le producteur.
Savez-vous par exemple que pour déguster un steak saignant, le bœuf doit attendre trois ans pour qu’il puisse produire environ 200kg de viande fraîche ? Ou encore que durant ces trois ans, le bœuf consomme 1.300 kg de grains (blé, maïs, soja…) et 7.200 kg d’herbe ? Et que près de 3 millions de litres d’eau sont nécessaires pour cultiver ces champs. Sans oublier les 24.000 litres d’eau bus par le bœuf et les 7.000 litres utilisés pour son entretien. Bref, 1 kg de bœuf requiert environ 15.500 litres d’eau. Alors, imaginez qu’il existe une banque mondiale de l’eau où l’on puisse échanger le gros bœuf de l’oncle Sam ou les 15.500 litres d’eau qu’il représente contre des dollars… Cela représenterait une rondelette somme d’argent!
Trêve de plaisanterie, « l’augmentation de la consommation de viande dans le monde est préoccupante puisque la viande a une grande empreinte sur l'eau en raison de l'eau nécessaire pour produire les aliments pour animaux» comme le souligne Arjen Y.Hoekstra, créateur du concept empreinte en eau et directeur scientifique du Water Footprint Network. A se demander si nos gouvernements prennent en compte l’empreinte en eau d’un produit lorsqu’il s’agit de faire des choix de politiques agricoles. « L'Espagne est le premier pays en Europe à inclure l'empreinte en eau dans sa réglementation » constate Arjen Y.Hoekstra. Le Professeur reste néanmoins confiant quant à la mobilisation future d’autres gouvernements. «Le concept est relativement nouveau. D'autres pays suivront probablement plus tard. »
Si l’empreinte en eau constitue un formidable progrès, à une époque où l’eau se raréfie, faut-il songer à diminuer progressivement la culture de certaines denrées gourmandes en eau ? « Sans aucun doute», affirme Graciela Chichilnisky.
Abreuver les millions d’hommes victimes de la pénurie est un devoir, ce qui n’est pas le cas concernant la production de la viande. Laquelle d’ailleurs n’est pas bonne pour la santé.
Plus nuancé, Peter Borkey de l’OCDE considère qu’« une solution serait de revoir les pratiques agricoles et les adapter aux nouvelles conditions hydrologiques. Dit autrement, « il faudrait déjà arriver à systématiquement planter des denrées peu gourmandes en eau là où l’eau est rare.» Au demeurant, quelle que soit la proposition retenue par les experts, le résultat est le même : il est temps de jeter les bases d’une agriculture plus durable.