Le diable s’habille en TAFTA ? Quoi, Qui, Comment, Pourquoi et… no, merci

Par GV Modifié le 10 avril 2014 à 10 h 02

Le Président Obama et la Commission européenne ont donné mandat à l’ambassadeur américain Michael Froman et au commissaire Karel de Gucht pour confectionner un Traité transatlantique aux objectifs mirobolants : augmenter le commerce entre les USA et l’UE de 120 milliards de dollars dans les prochaines cinq années et créer deux millions d’emplois.

(c) Press Office Ustr.gov

Quoi

Négocié depuis le mois de juillet 2013, TAFTA, l'accord commercial transatlantique ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement est un projet d'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis.

Le projet est aussi connu sous le nom de TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ou PTCI, Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement.

La décision d’entamer ces négociations s’explique essentiellement par la persistance de la crise économique et par le blocage des négociations commerciales multilatérales au sein de l’Organisation mondiale du commerce – connues sous le nom de «programme de Doha pour le développement».

Comment

L’accord a pour objet rendre plus simple l’achat et la vente de biens et services entre l’Union européenne et les Etats-Unis et permettre aux entreprises européennes et étasuniennes d’investir plus facilement dans l’autre économie. Les négociations s’attaquent aux droits de douanes, en particulier dans les secteurs où ils sont restés importants, comme dans l’agriculture. Mais l’accord vise avant tout une harmonisation des règles en matière de production agricole ou industrielle, protection des données numériques et licences, mesures de prévention des risques environnementaux et sanitaires, etc.

Qui

Les négociations sont conduites par le représentant américain pour le commerce (USTR) pour les États-Unis et le commissaire au commerce, M. Karel De Gucht, pour la Commission européenne, qui  négocie au nom de l’Union et de ses 28 États membres.

Pourquoi

Les effets économiques d’un accord qu’entraînerait différents degrés de libéralisation des échanges entre l’UE et les Etats-Unis ont étés évalués par le CEPR, un centre d’études sur la politique économique basé à Londres. L’étude du CEPR, intitulée «Reducing barriers to Transatlantic Trade» (réduire les obstacles au commerce transatlantique), suggère que l’économie de l’Union pourrait en retirer un bénéfice de 119 milliards d’euros par an – l’équivalent d’un bonus de 545 euros en moyenne par ménage de l’Union. Selon l’étude, l’économie américaine pourrait en retirer un gain de 95 milliards d’euros supplémentaires par an, soit 655 euros par famille américaine.

Ces avantages se matérialiseront sous la forme de biens et services moins chers. De manière générale, les partisans du TAFTA affirment que «  …les prix diminueront parce que les droits d’importation sur les marchandises américaines seront abolis, des règles jugées superflues seront abrogées et… dans de nombreux domaines, au lieu de devoir produire des biens selon deux ensembles de spécifications séparés, les fabricants pourront suivre un même ensemble de règles pour l’Union et pour les Etats-Unis ».

TAFTA ? Tout bien réfléchi, non merci !

De dizaines organisations au niveau français, européen et aux Etats-Unis dénoncent le TAFTA comme processus anti-démocratique. Pourquoi ? Parce que le projet d'accord inclut en effet un inacceptable mécanisme d’arbitrage des différends États-investisseurs. Un mécanisme qui consacre la suprématie des droits des investisseurs sur nos droits démocratiques.

Ce type de mécanisme, dit de « protection des investissements », prévoie que les grandes entreprises aient le pouvoir de contester les réglementations nationales et internationales si elles affectent leurs profits. Ainsi, les États membres de l’UE peuvent voir leurs lois domestiques visant à protéger l’intérêt général contestées dans des tribunaux ad hoc, dans lesquels les lois nationales n’ont aucun poids et les élus politiques aucun pouvoir d’intervention.

Quelques conflits emblématiques

A travers le monde, les entreprises transnationales ont déjà utilisé les mécanismes de règlement des différends investisseurs-États intégrés aux accords sur le commerce et l’investissement.

Quelques conflits emblématiques, d’après le document  « Une déclaration transatlantique des droits des entreprises » du Réseau Seattle to Brussels Network (S2B), le Corporate Europe Observatory (CEO), le Transnational Institute, l’AITEC (Association internationale des techniciens, experts et chercheurs) et Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).

Sociétés contre santé publique : Philip Morris v. Uruguay et Australie

Au travers d’un traité bilatéral d’investissements, le géant du tabac Philip Morris poursuit en justice l’Uruguay et l’Australie sur leur lois anti-tabac. L’entreprise soutient que les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes et les emballages les empêchent d’afficher clairement le logo de leur marque, causant une perte substantielle de leur part de marché

Sociétés contre protection environnementale Vattenfall v. Allemagne

En 2012 le géant Swedish energy a porté plainte contre l’Allemagne demandant 3,7 milliards d’euros en compensation de profits perdus suite à l’arrêt de deux de ses centrales nucléaires. La plainte suivait la décision du gouvernement fédéral allemand de supprimer progressivement l’énergie nucléaire après le désastre nucléaire de Fukushima

Sociétés contre les gouvernements prenant des mesures contre les crises financières – Argentine et Grèce

Lorsque l’Argentine a gelé les tarifs des services essentiels (énergie, eau ...) et dévalué sa monnaie en réponse à la crise financière de 2001-2002, elle fut frappée par plus de 40 plaintes de sociétés comme CMS energy (US), Suez et Vivendi (France). A la fin de 2008, les condamnations contre le pays totalisaient 1.15 M$

En mai 2013, des investisseurs slovaques et chypriotes poursuivaient en justice la Grèce concernant l’échange de créance sur sa dette souveraine de 2012 qu’Athènes a du négocier avec ses créditeurs pour obtenir l’aide monétaire de l’UE et du FMI, qui  ont tout deux averti que les accords sur les investissements pouvaient sévèrement affecter la capacité des États à lutter contre la crise économique et financière

Sociétés contre protection de l’environnement : Lone pine v. Canada

Sur la base de l’ALENA (Accord de libre-échange nord américain), la société américaine Lone Pine Ressources Inc. demande 250 millions de dollars américains de compensation au Canada. Le « crime » du Canada : la province canadienne du Québec a décrété un moratoire sur l’extraction d’huile et gaz de schiste en raison du risque environnemental de cette technologie.

Sociétés contre santé publique Achmea v. la République slovaque

Fin 2012, l’assureur néerlandais Achmea (anciennement Eureko) a reçu 22 millions d’euros de compensation du gouvernement slovaque pour avoir remis en cause, en 2006, la privatisation de la santé engagée par l’administration précédente, et demandé aux assureurs de santé d’opérer sans chercher de profits

Ces exemples montrent qu’il y a le risque que le TAFTA puisse permettre aux investisseurs étrangers de contourner les tribunaux locaux et attaquer les États directement par des tribunaux internationaux dès que des décisions démocratiques mettraient en cause leurs intérêts. Sécurité des aliments, normes de toxicité, assurance-maladie, prix des médicaments, liberté du Net, protection de la vie privée, énergie, culture, droits d’auteur, ressources naturelles, formation professionnelle, équipements publics, immigration : pas un domaine d’intérêt général qui ne passe sous les fourches caudines du libre-échange institutionnalisé.

La protection des données et les droits de propriété intellectuelle

Un risque particulièrement grave en matière de en matière de protection des données et de les droits de propriété intellectuelle.

Dans une société démocratique, la vie privée est essentielle à la mise en œuvre d'autres droits fondamentaux, tels que les droits d'expression ou d'association. Or, les géants du net – qui tous made in US - ont aujourd'hui intérêt à voir assouplie la protection de ce droit fondamental, afin de tirer profit des informations les concernant, par leur collecte, leur traitement, leur stockage et leur commerce.

Reste donc la question : la négociation TAFTA constitue-t-il une plateforme pour affaiblir le régime de protection européen des données personnelles et le réduire au niveau quasi-inexistant des USA ?

Sur les droits de propriété intellectuelle, ils devraient être inclus dans la définition « d'investissements » protégés par le TAFTA et donc sujet aux mécanismes de règlement des différends investisseurs-États. Une chose choquant aussi d’un point de vue économique, car notre industrie high-tech est bien plus faible que l’industrie étasunienne. Vous avez bien trouvé cet article  sur Google, n’est pas ?

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