Début 2014, l’Indonésie décidait de mettre un terme à l’extraction de la bauxite sur son territoire, pour cause de pollution excessive. Une situation qui profitait à la Malaisie, qui devenait dans la foulée l’un des plus gros pourvoyeurs de bauxite, passant de 200 000 tonnes produites en 2013 à 20 millions en 2015. Jusqu’à ce qu’elle décide à son tour de freiner des quatre fers : le pays est dévasté, la prévalence de maladies graves a explosé. La Chine, plus gros consommateur de bauxite au monde, se tourne alors vers la Guinée. Au risque que le pays africain connaisse le même sort que ses prédécesseurs asiatiques, faute d’une production régulée et durable.
La Guinée et ses réserves naturelles de bauxite dans la ligne de mire des investisseurs
La bauxite est un minerai à l’origine de la production d’aluminium, un métal incontournable pour l’industrie, le deuxième le plus consommé au monde après le fer. Qu’il s’agisse de l'automobile, de l'alimentaire ou encore de l'aéronautique, l'aluminium est omniprésent, et les besoins ne cessent d’augmenter. Pourtant, les gros gisements de bauxite se font rares sur la planète, concentrés sur quelques pays-clés : Australie, Indonésie, Malaisie, Brésil, Jamaïque et Guinée. Cette dernière, avec 25 milliards de tonnes estimées et 18 prouvées, se trouve être détentrice d’un tiers des réserves mondiales de bauxite, ce qui en fait un territoire de choix pour les investisseurs du monde entier.
Le fondateur de Free, Xavier Niel, vient ainsi de rejoindre le président éponyme de la société de transport maritime Louis Dreyfus Armateurs et l’ex-PDG d'Areva Anne Lauvergeon, en tant qu’investisseur dans l’Alliance minière responsable (AMR). Il s’agit de l’unique société française détenant un permis d’exploration sur un gisement du fameux minerai en Guinée. Montant de l’investissement de Niel ? Inconnu, mais il serait significatif. La société AMR est titulaire d’un permis d’exploration portant sur un terrain de 295 km2 dans la préfecture de Boké.
Mais le plus gros client de la Guinée est sans conteste la Chine, et les besoins de l’Empire du Milieu devraient encore augmenter dans les prochaines années. Une situation qui fait les affaires de la Guinée sur le plan économique, le pays comptant passer d’une production annuelle de 17 millions de tonnes actuellement à 40 millions de tonnes d’ici 2024, selon le ministre guinéen des Mines et de la Géologie, Kerfalla Yansané. 40 millions de tonnes, c’est deux fois plus que la production malaisienne à son paroxysme, une production qui avait largement suffi à saccager le pays, pourtant une fois et demi plus grand.
Pas de quoi refroidir la Guinée. Pour le premier cargo envoyé à Yantai en Chine, ce ne sont pas moins de 170 000 tonnes de bauxite qui ont fait le voyage. China Hongqiao Group, plus grand producteur d’aluminium du pays, vient d’investir 200 millions de dollars, avec la ferme intention d’atteindre une livraison annuelle de 10 millions de tonnes de bauxite.
Le non respect des réglementations environnementales et sanitaires de la Chine
Quand l’Indonésie puis la Malaisie lui ont claqué la porte au nez, la Chine ne s’est pas tout de suite tournée vers la Guinée mais vers l’Australie. Avant que cette dernière n’adopte des mesures plus restrictives en matière d’environnement, et que l’Afrique apparaisse comme la solution idéale.
En Afrique, la Chine est souvent accusée d’exploiter les ressources pour son propre bénéfice sans réellement offrir de contreparties intéressantes. Les emplois sont dans la majeure partie du temps attribués non pas à la main d’œuvre locale mais à des entreprises chinoises. De plus, elle ne respecte pas les normes de travail et environnementales. C’est pour ces raisons qu’en 2013 l’agence de gestion de l’environnement de la Zambie a suspendu pendant quelques mois son projet d’extraction de cuivre.
Une absence de réglementation et des débordements à la fois sanitaires et environnementaux qui ont eu raison, on l’a dit, du développement extrêmement rapide de l’extraction de la bauxite en Malaisie : la Chine est responsable de la pollution des eaux mettant en danger la population et contaminant la vie marine. Dans quelles mesures ? Difficile à dire, mais le ministre de la Santé malaisien a commandé un rapport d’analyse chimique qui devrait renseigner davantage sur ce point. En attendant, une seule certitude : les dégâts sont graves, et devraient être visibles des années.
Alpha Condé, président de la République de Guinée, s’est récemment félicité de cette coopération accrue avec la Chine, qui permettra de créer des emplois notamment pour la jeunesse ainsi que des opportunités d’affaires pour les Guinéens. Mais quel sera le prix réel à payer ? Si la Chine ne s’attache pas à extraire la bauxite de façon durable, ce qui a peu de chances d’arriver à moins qu’on ne la contraigne, on peut déjà supposer qu’il sera lourd, très lourd.