Thaïlande, le 29 Janvier 2016. Alors que la junte militaire multiplie les dérapages antidémocratiques, un nouveau projet de Constitution entend bafouer toujours plus la liberté et les droits fondamentaux des Thaïlandais.
Les droits des Thaïlandais foulés aux pieds
La Thaïlande a connu de nombreux coups d’État dans son Histoire (douze depuis les années 1930) et toujours, ce sont les militaires qui sont venus prendre les rênes du royaume. En 2014, c’est le Chef de l’armée, le Général Prayuth Chan-ocha, qui frappe du poing sur la table et prend le pouvoir, entraînant la naissance d’une dictature appelée National Council for Peace and Order (NCPO).
Depuis, les condamnations abusives de la part du gouvernement n’ont de cesse de resserrer les libertés de son peuple. La loi martiale est toujours en vigueur interdisant les manifestions et la moindre critique envers le pouvoir. Les arrestations et mises en jugement pour diffamation sont nombreuses. Les affaires de lèse-majesté ont récemment condamné à cinq ans de prison un étudiant et une archiviste qui avaient écrit en 2011 La fiancée du Loup, une pièce de théâtre accusée de calomnier la famille royale. Un homme encourt la même peine avec sa chanson Pour notre cher oncle, diffusée sur les réseaux sociaux et jugée offensante pour le chef de la junte.
Tout aussi inquiétant, un rapport rédigé par les ONG locales informe que dans le sud du pays, alors en proie à des mouvements indépendantistes depuis des décennies, les suspects sont torturés et les familles menacées de manière systématique.
À l’avenir, il sera d’autant plus difficile de rendre compte, en toute objectivité, de la situation en Thaïlande, que la presse internationale se retrouve elle aussi dans le viseur du ministère des Affaires étrangères, après la parution de nouvelles règles concernant les visas pour les journalistes étrangers. Le but, d’après le ministre Don Pramudwinai, est de veiller à prévenir les risques de fausses déclarations qui auraient déjà « nui à la réputation du pays ».
Les pleins pouvoirs de la junte militaire
Certaines des propositions comprises dans la première ébauche d’un projet de Constitution du 22 août 2015 avaient déjà fait l'objet de nombreuses critiques, puisqu’elles portaient atteintes aux libertés fondamentales. Cette seconde tentative de la Constitution Drafting Committee (CDC), datée du 29 janvier 2016, représente un obstacle juridique supplémentaire dans le processus de démocratisation de la Thaïlande, bien plus qu’une prétendue force pour le bien de son peuple.
Les différentes propositions de ce projet de Constitution sont alarmantes. Avec l’article 103, les représentants à la Cour constitutionnelle seront nommés par le CDC et le Sénat se verra attribuer de nouveaux pouvoirs dont le droit de veto. Le gouvernement, à travers le Sénat, aura le droit d'exercer une surveillance dans l’application de la loi et l’exercice du pouvoir exécutif, et d’approuver ou non la nomination des organisations indépendantes.
La Constitution, si elle est appliquée, rendrait la junte d’autant plus intouchable. Le NCPO serait maintenu en attendant qu’un nouveau cabinet soit nommé. Pendant cette période, il garderait sa toute puissance et pourrait l’utiliser pour condamner toute activité qui n’irait pas dans son sens, intervenir dans le processus de vote et annuler des éventuelles élections pour ainsi, de facto, repousser selon son bon vouloir la constitution d’un nouveau cabinet et prolonger son existence.
Quel avenir pour le peuple thaïlandais ?
L’influence de l’armée ne s’arrête pas là, elle exerce son pouvoir jusque dans la politique d’Education. Il sera enseigné dans les écoles dès le plus jeune âge un certain point de vue de l’Histoire : l’acceptation du coup d’État. Le gouvernement militaire a toujours présenté sa prise de pouvoir comme une nécessité pour empêcher le chaos et lutter contre la corruption dans les classes politiques. L’une des idées les plus véhiculées est celle qu’une personne morale, mais non élue, prévaut sur les élus. Mais qu’est-ce qu’une personne morale selon la junte ? Une personne raisonnable et en phase avec le discours du NCPO. Il s’agit là d’impacter les valeurs de la démocratie sur les générations futures.
Le premier projet de Constitution stipule de manière explicite que toutes les actions et mesures valables dans la Constitution du Royaume de Thaïlande sont considérées comme constitutionnelles : la répression de la junte et ses débordements deviendraient tout simplement légaux. Mais dans cette seconde proposition, ce n’est plus seulement l’immunité aux actes effectués après le coup d’État qui est donnée, mais aussi à toutes les actions opérées après l’élection d’un nouveau cabinet. L’article 270 restreint de manière systématique les droits et libertés du peuple thaïlandais puisque la junte peut, légitimement, réprimander toute parole et acte qui n’iraient pas dans son sens, comme cela se fait déjà actuellement : une entrave au fondement de la démocratie.
Enfin, il est nécessaire d’évoquer l’article 253 qui vient parachever ce projet constitutionnel et creuser toujours plus le fossé entre les Thaïlandais et la Démocratie. Modifier la Constitution relèverait du miracle. Dans un premier temps il faudrait une approbation de plus de la moitié des membres du Parlement dont un tiers du nombre total des membres de la Chambre des sénateurs – membres choisis par la junte, rappelons-le. Ensuite, si ces derniers jugent que la proposition de révision de la Constitution n’est pas conforme, alors ils peuvent demander à ce que celle-ci soit examinée par la Cour constitutionnelle dont le collège est, rappelons le encore, entièrement nommé par les sénateurs eux même nominés par le NCPO... Bref, tout semble verrouillé. L’opposition est réduite au silence et le peuple opprimé, sans recours possible. Une situation qui semble désespérée, ce qui ne doit pas nous empêcher de la dénoncer. La Thaïlande est un grand pays, gageons qu’elle arrivera à se sortir de cette mauvaise passe. Avec l’aide de la communauté internationale ? Il ne fait aucun doute que ça accélèrerait les choses.