Le Sénat a adopté en première lecture, le 4 avril, le projet de loi dit de « simplification de la vie économique ». Un intitulé qui évoque l’efficacité administrative, les démarches allégées, le progrès technocratique. Pourtant, en Guyane, ce texte législatif s’annonce comme un véritable tournant : il prévoit d’écarter l’Office national des forêts (ONF) des procédures d’autorisation pour les recherches minières. Une modification apparemment mineure, mais aux conséquences redoutables pour les écosystèmes de la région.
Mines en Guyane : l’ONF écarté des procédures d’autorisation minière
L’article 19 de cette loi prévoit explicitement la suppression de plusieurs étapes fondamentales dans l’attribution des permis exclusifs de recherche (PER). Désormais, plus besoin de consulter l’ONF pour donner un avis sur les projets d’exploration minière. Plus besoin non plus de répondre aux observations environnementales ou sociales formulées dans les mémoires déposés. Pour les industriels, un allègement. Pour les défenseurs de l’environnement, une claque. Ce changement n’est pas tombé du ciel. Il répond, presque mot pour mot, aux demandes exprimées en 2023 par la Fédération des opérateurs miniers de Guyane. Une fois encore, l’État semble dérouler le tapis rouge à un secteur déjà fortement décrié.
En Guyane, une forêt sans défense face aux mines
La forêt guyanaise n’est pas une abstraction. Elle couvre près de 96 % du territoire et représente l’un des réservoirs de biodiversité les plus riches au monde. Depuis des décennies, l’Office national des forêts joue un rôle central dans sa gestion : plans de coupe, surveillance des parcelles, encadrement des usages, gestion durable. L’éviction de cet acteur clé du processus minier revient à priver la forêt de son principal rempart administratif. Un rapport de l’Assemblée nationale rappelle que « l’ONF est chargé de l’ensemble des fonctions régaliennes en matière forestière sur les forêts publiques, y compris en Guyane ».
Et c’est précisément cette fonction de garde-fou que le gouvernement s’apprête à faire sauter. Pour les militants écologistes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une « régression environnementale majeure », peut-on lire sur Reporterre.. En effet, sans les avis techniques et indépendants de l’ONF, les projets miniers pourraient se développer sur des zones sensibles sans aucune prise en compte des risques écologiques. La nature devient alors une variable d’ajustement.
Une opportunité pour les industriels… au prix fort
Ce qu’on présente comme une simplification est en réalité une libéralisation. Le but : rendre plus rapides, plus fluides, plus attractives les démarches pour les compagnies minières, françaises ou étrangères. Le projet de loi entend supprimer les blocages, lever les contraintes, éviter les lenteurs. Une vision purement productiviste, qui rappelle les discours tenus lors des débats sur le projet Montagne d’Or. Ce projet minier emblématique, rejeté en 2021 par le gouvernement sous la pression citoyenne, revient régulièrement dans l’actualité. Car l’ambition des industriels est intacte : exploiter l’or, toujours plus, toujours plus vite.
Et face aux besoins de métaux stratégiques pour la transition énergétique, les autorités semblent prêtes à faire des concessions inquiétantes. Dans un article publié par Le Monde le 10 mai 2024, le gouvernement assumait vouloir relancer le secteur minier français. Objectif : répondre à la demande croissante de ressources nécessaires à la fabrication de batteries, d’éoliennes, de technologies vertes. En parallèle, un inventaire des ressources minières a été lancé, et un observatoire national créé. Autant de signaux montrant que la France entend redevenir une terre d’extraction.
La biodiversité sacrifiée
Mais à quel prix ? Ce sont les forêts de Guyane qui pourraient payer la facture. Car sans contre-pouvoirs, sans avis indépendants, sans organismes publics pour équilibrer les décisions, les territoires deviennent vulnérables. Les populations locales également, souvent tenues à l’écart des débats, mais directement impactées par la pollution, la déforestation, les bouleversements socio-économiques.
Des associations comme France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement dénoncent depuis des années les effets délétères de l’orpaillage illégal, mais aussi ceux de l’industrie minière légale. Dans ce contexte, rendre les démarches plus simples ne revient pas à améliorer le système, mais à le déréguler. Et cette dérégulation se fait au bénéfice d’intérêts privés. Alors que la France s’est engagée à préserver 30 % de son territoire en aires protégées d’ici 2030, ces réformes interrogent. Peut-on simultanément affirmer une ambition environnementale forte et saboter les outils qui permettent de la garantir ? Peut-on protéger la forêt tout en privant l’ONF de son rôle de filtre ?